Arnolt Aston-Martin : la série qui concurrença David Brown.

En septembre 2015, nous vous relations l’histoire des MG Arnolt. Stanley Harold « Wacky » Arnolt, un américain de Chicago, importait des châssis nus de MG TD pour les confier aux établissements Bertone afin de produire une petite série de coupés et de cabriolets exclusifs.

Nous avions vu qu’après la création de 102 voitures, l’usine MG d’Abingdon avait cessé de fournir à Arnolt des châssis nus, préférant les destiner à la fabrication de la future MG TF. Fort de son succès avec MG, Arnolt s’était alors rabattu sur un autre constructeur anglais, Aston Martin, dans le but d’acheter des châssis de DB 2/4 mk1. Le résultat éveilla les foudres du grand David Brown.

À la création de Retromotiv, il y a maintenant un an, l’idée n’était pas d’être au top de l’actualité de la voiture ancienne, ni d’écrire 7 articles par semaine. Nous avions juste envie de partager notre soif de connaissance et notre intérêt pour les petites histoires, ces anecdotes qui sont à la base de notre passion. Pour cela, nous fouillons le net, les sites, les archives, les bibliothèques en ligne ; parfois nous passons des coups de fil, nous cherchons des infos auprès d’amis qui nous aiguillent vers des connaissances susceptibles de nous aider, de nous fournir le détail qui fera de cette histoire une rêverie dans laquelle nous nous perdrons. C’est là l’essence même de notre blog : la recherche et la documentation. Aussi, lorsque nous tombons sur une petite série de voitures ayant chacune une histoire à raconter, nous sommes aux anges.

Stanley Harold « Wacky » Arnolt
Stanley Harold « Wacky » Arnolt

Nous avons donc été particulièrement captivés par l’histoire des 8 châssis Aston-Martin importés par Arnolt. Dès 1953, alors même que les dernières Arnolt MG étaient encore en production dans son usine de Chicago, Wacky commanda, dans un premier temps, 6 châssis de la toute nouvelle DB2/4 auprès de l’usine Aston-Martin de Feltham. Ces châssis portaient les numéros LML 502 à 507. Certains étaient livrés avec le moteur Lagonda, conçu en 1935 par W.O. Bentley : un 6 cylindres en ligne double arbre à cames de 2,6 litres (2580cc). D’autres partirent de Feltham, équipés de la version améliorée par Tadek Marek du 2,6 litres Lagonda : le 2,9 litres (2922cc). Mais, Arnolt équipa finalement tous ses modèles du 2,9 litres avant de livrer les voitures aux premiers clients.

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MG Arnolt
Aston Martin DB 2/4 mk1
Aston Martin DB 2/4 mk1

Pris au hasard, LML/504 et 506 partirent les premiers à destination de Turin, chez les établissements Bertone en charge de la fabrication des carrosseries. Dans la lignée des Arnolt MG, c’est au designer freelance Giovanni Michelotti que l’on doit le dessin final de ces 2 voitures. Sous le pinceau du maître, se dessinent deux beaux cabriolets aux lignes tendues et chromes abondants. Hormis l’absence de toit et une différence dans le dessin de la calandre, la ligne n’est pas sans rappeler l’Aston-Martin DB 2/4 Fixed Head Coupé qui sera assemblée, dès 1955, par Tickford à Newport Pagnell.

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DB 2/4 Fixed Head Coupé Tickford

LML/504 : Le cadeau de Noël.

5Ce premier cabriolet fut commandé par 60 employés de la Société Brown & Birgelow, spécialisée dans les calendriers représentant entre autres, des Pin Up, afin d’en faire cadeau à leur patron : Charles A. Ward. Ce dernier qui fut tour à tour l’un des lieutenants de Pancho Villa, puis contrebandier de drogue au Mexique avant d’être incarcéré au pénitencier américain de Leavenworth, s’associa, après sa libération, à Hubert Birgelow, son codétenu. Ayant hérité de la société familiale, les deux hommes firent un business florissant de la vente d’almanach. A la mort de Birgelow, Ward continua à faire prospérer cette affaire en s’appuyant sur l’embauche de repris de justice. Il faut croire que ces derniers lui en furent très reconnaissants car, 60 d’entre eux offrirent 200$ chacun afin de commander une Aston-Martin très spéciale à leur employeur, pour Noël 1953.

Très « colorée », la voiture sortit de l’usine d’assemblage de Chicago avec une livrée bleue métallisée, des sièges en cuir rouge à passepoils couleur crème et une moquette beige. Comble du raffinement, les quelques deniers restants dans la cagnotte permirent la confection d’un ensemble de bagagerie, comportant notamment une valise à pique-nique complète, assorti au cuir rouge de la sellerie. Cerise sur le gâteau, des monogrammes aux initiales de Charles Ward furent apposés sur les écrous de roue, sur chaque élément de la bagagerie et sur la commande de klaxon au centre du volant. Deux plaques en laiton commémoratives énumérant les généreux donateurs figurent sous le capot et dans l’habitacle.

Depuis, la voiture a été repeinte en rouge afin d’assortir un peu les teintes, même si cela atténue l’effet patriotique pourtant très cher aux américains.

Acquise durant sa vie par le pilote et collectionneur Michael Schudroff, elle trouva acquéreur lors de la vente aux enchères de Pebble Beach en 2009 contre 1 650 000$.

LML/506 : Edith Field & Innes Ireland.

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LML/506 est livrée début 1954, peu de temps après 504. Identique de par sa forme et sa livrée, la sellerie, en revanche, est beige et la moquette noire. Elle fut vendue neuve à Edith C. Field. Si le terme « Gentlewoman Driver » existait, il définirait indéniablement Edith Field. Née Chamberlain d’une famille aisée du sud de la Californie, cette passionnée d’automobile résidait alors au numéro 2755 de la Scott Street de San Francisco.

Excentrique pour son époque, elle était aussi pilote et avait un certain panache au volant, aux dires de ses amis. LML/506 devint sa voiture personnelle, à usage quotidien, préférant utiliser son AC Ace-Bristol sur les circuits californiens. En 1955, un an après son achat, elle présenta LML/506 au concours d’élégance de Pebble Beach qui acceptait alors des voitures récentes. Elle y remporta la 3ème place de la classe des voitures de sport à 2 places de moins de 10 000$.

LML/506 lors du concours d'élégance de Pebble Beach en 1955.
LML/506 lors du concours d’élégance de Pebble Beach en 1955.

Au milieu des années 80, LML/506 changea de main et fut rachetée par le célèbre pilote britannique Innes Ireland. Il fit rapatrier la voiture en Grande-Bretagne et l’utilisa régulièrement. Rapidement, Ireland fut sollicité par le collectionneur David Clark qui souhaitait l’acquérir. Après moultes tergiversations qui durèrent près de quinze ans, Ireland consentit à lui vendre l’auto dans l’état. Clark entreprit alors une restauration très coûteuse. Il lui fallut débourser 200 000£ auprès du restaurateur John Goldsmith afin de voir l’auto atteindre un état concours après 4 années de travaux. Plusieurs spécialistes furent contractés afin de reproduire le capot, le coffre et l’habillage intérieur, notamment Spray-Tec et LA & RW Piper.

Présentée à la vente aux enchères Bonhams lors du Festival of Speed de Goodwood en 2011, la voiture trouva preneur pour 722 800€.

Les châssis LML 502, 505 et 507 connurent un destin un peu différent. Envoyés chez Bertone, ils furent pris en charge par le designer Franco Scaglione. Le résultat est bien dissemblable de LML/504 et 506. Le designer italien dessina trois barquettes sportives aux courbes prononcées. La calandre évoque toujours l’univers d’Aston-Martin, mais de manière nettement plus stylisée. L’esthétique globale de ces trois voitures s’inspire des DB3S qui remportèrent de nombreuses victoires durant les années 1953 et 1954.

LML/502 : Le 1er dessin de Scaglione.

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Première barquette à sortir des établissements Bertone, LML/502 reçut une livrée Rosso Bordeaux lors de sa fabrication en 1953. Minimaliste par essence, elle ne porte pas de pare choc et de simples saute-vents font office de pare brise. La ligne fluide et aérée est, malgré tout, un peu cassée par l’épaisseur des cerclages des phares qui ne s’intègrent pas parfaitement dans la courbure des ailes avant.

Cette barquette fut acquise par Stanley Arnolt, dès sa sortie. Tout porte à croire qu’il fut très impressionné par le dessin de Scaglione car cette barquette préfigure le style des célèbres bolides Arnolt Bristol qu’il commercialisera en grand nombre quelques années plus tard. Durant sa vie, cette voiture fit le bonheur du pilote James Hartman. Ce dernier utilisa LML/502 en compétition jusqu’à sa mort lors d’un tragique accident. Sa femme entreprit de restaurer sa voiture. Les responsables de la restauration choisirent d’abandonner la teinte bordeaux d’origine pour une livrée rouge. Madame Hartman décida finalement de la présenter aux enchère Christies de Pebble Beach en Août 2002 où elle trouva preneur auprès de Bill et Linda Pope pour la somme relativement modique de 360 000$. Ces derniers redonnèrent sa couleur d’origine à LML/502 et la présentèrent au concours d’élégance de Pebble Beach en 2013 où elle termina 1ère de sa catégorie.

LML/502, ici en Rouge après une restauration avant sa vente en 2002.
LML/502, ici en Rouge après une restauration avant sa vente en 2002.

Dans cette version, le 6 cylindres en ligne double arbre de 2922cc, développé par Tadek Marek, offre 140ch. Cette barquette légère est capable d’atteindre les 200 km/h.

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LML/507 : Le blason de la discorde.

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D’apparence similaire à sa consoeur LML/502, LML/507 est la seule à être encore dans son jus. C’est aussi la dernière à avoir été carrossée en spyder. Son palmarès sportif n’a rien à envier à 502.

Elle transita d’Italie vers les USA à bord du paquebot RMS Mauretania duquel elle fut débarquée le 26 janvier 1954.

RMS Mauretania

Présentée lors du Salon Automobile de Chicago la même année, elle fut vendue neuve à un pilote de l’écurie privée de Stanley Arnolt, Phil Steward. Puis, elle se retrouva entre les mains d’un autre pilote, Carl Kirkheafer, alors propriétaire de la société Mercury Marine qui fabriquait des moteurs hors-bord de bateau. En plus d’être un businessman de talent, ce dernier était aussi un pilote aguerri, vainqueur en NASCAR en 1955 et 1956. Il ne se priva pas d’emmener son Arnolt Aston-Martin sur les pistes américaines à maintes reprises durant les années 50.

En avril 1958, Kirkheafer céda LML/507 à Peter Luan via un vendeur de voitures de Sheboygan, dans le Wisconsin. Ce dernier la conserva pendant 11 ans, n’hésitant pas à la piloter sur circuit à la fin des années 50.

En 1969, Peter Luan vendit 507 à Michael Schudroff qui lui fit connaître aussi quelques courses de voitures anciennes. Après 40 ans de plaisir, il proposa LML/507 lors de la vente aux enchères Gooding & Co de 2009, en même temps que LML/504 où elle trouva preneur pour 1 045 000$. On retrouve ensuite LML/507 lors de la vente aux enchères de la Villa d’Erba, lors du concours d’élégance de la Villa d’Este en 2011 où elle se vendit contre 672 000€. Ses nouveaux propriétaires l’exposèrent lors de la célébration du centenaire de Kensington Palace en 2013 et lors du concours d’élégance de Chantilly en 2014.

Le blason de la discorde.

Sur le capot de LML/507, Wacky Arnolt fit poser un petit blason sur lequel figure son nom accolé à celui d’Aston-Martin. Très élégant, cet insigne fut à l’origine de l’agacement de David Brown qui verra, à terme, Arnolt plutôt comme un concurrent que comme un client. Plus tard, il refusera même de fournir des châssis nus à quiconque, préférant ne vendre que des DB complètes.

Nous avons eu la chance de croiser ce superbe roadster lors de l’édition 2017 de Spa Classic. D’abord sur la piste, engagée au sein du plateau du Trofeo Nastro Rosso, puis le dernier jour, alors que son propriétaire rangeait LML/507 dans sa remorque à l’aide d’un ami. Ce fut un grand moment de partage avec ces gentlemen driver ainsi qu’un immense plaisir de voir cette auto si rare sur la piste. Son propriétaire nous confiait qu’il lui était inconcevable de parker LML/507 dans un showroom, que cette voiture avait été faite pour courir. Chapeau !

LML/505 : Le roadster.

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Bien qu’elle soit indéniablement proche des deux autres spyders de Scaglione, LML/505 reçut un traitement assez différent : elle fut carrossée comme un roadster routier. Elle se vit donc apposer une paire de pare chocs, un véritable pare brise, des vitres latérales amovibles et une capote repliable. Les phares, au chrome plus fin, s’intègrent mieux dans le profil de l’auto. Le dessin du tableau de bord est lui aussi différent de 502 et 507, plus proche de celui de la DB2/4 de David Brown, reprenant la forme de calandre typique des véhicules de Feltham. C’est un des châssis qui reçut, d’origine, un moteur 2,6 litres Lagonda, rapidement remplacé par un 2922cc avant que la voiture soit vendue.

Présentée au Salon de New York en 1954 dans sa livrée bleue d’origine, 505 fut vendue à Mr Shwambauer de Wishita, Kansas, qui la conserva quatre ans. Il la revendit ensuite en 1958 à un capitaine de l’US Air Force, C.S. Wallen. Puis un autre pilote de l’US Air Force, l’officier Charles Barnett en fut propriétaire de 1961 à 1973. Il entama une restauration terminée par le propriétaire suivant, Jerry Rogers, qui opta pour une teinte bleu argent, plus claire que l’origine. Dès lors, 505 connut plusieurs propriétaires avant sa restauration complète en 2004 qui lui rendit sa teinte d’origine. Les acteurs de cette restauration furent en partie les mêmes que ceux qui entreprirent de rendre sa beauté originelle à LML/506.

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Le célèbre pilote automobile Carlos Monteverde, que les habitués de Goodwood et du Mans Classic reconnaitront, fut l’un des propriétaires de LML/505. Il l’acheta en 1996 alors que sa précédente propriétaire, une passionnée d’automobile de nationalité Suisse, du nom d’Annie Abensur, l’avait mise aux enchères à Genève. Monteverde la revendit ensuite à son actuel propriétaire à la fin de l’année 2002.

LML/505 participa au concours d’élégance de Woburn Abbey en 2004 où elle obtint le 1er prix de sa catégorie, puis Pebble Beach en 2007 au cours duquel elle remporta le 3ème prix.

Elle sera présentée à la vente aux enchères de Gooding & Co de Pebble Beach le 20 août 2016. Elle est estimée entre 3 et 4 millions de dollars.

En 1954, Arnolt parvint à acquérir deux derniers châssis roulants : LML/762 et LML/765, peu de temps avant que David Brown ne refuse définitivement ce type de vente.

LML/765 : The Berlinetta.

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Avant-dernière Arnolt-Aston produite en août 1954, 765 est le seul châssis de cette série, carrossé en Berlinetta. Scaglione signe ici un dessin innovant, fin et élégant, faisant apparaître de légers ailerons au sommet des ailes arrières. Un détail qui deviendra extrêmement courant dans les années 60. Notons aussi la vitre arrière, en forme de bulbe, novatrice pour ce milieu des années 50 et qui deviendra presque commune dans les années à venir (Jensen, Stingray, …). Le dessin du tableau de bord est aussi plus moderne que celui des autres Arnolt Aston-Martin.

Elle sera vendue en janvier 1955, dans une livrée blanche, à un homme d’affaire parisien, Henry Pagezy, qui l’exposera lors du Salon Auto de Turin en 1957 sur le stand Bertone. `

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Il semblerait que cette Berlinetta soit la première d’une longue série planifiée par Arnolt. Toutefois, le refus de David Brown de fournir ses châssis nus y mettra un terme et LML/765 restera donc un exemplaire unique et le seul châssis de DB2/4 carrossé en coupé par Bertone.

Elle compte désormais parmi la collection Blackhawk.

Les ailerons, la vitre arrière galbée... Un dessin innovant en ce milieu des années 50.
Les ailerons, la vitre arrière galbée… Un dessin innovant en ce milieu des années 50.

LML/762 : Indiana.

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Connue sous le nom d’Indiana en l’honneur de la 2ème usine d’Arnolt basée à Warsaw dans l’Indiana, LML/762 fut la voiture personnelle d’Arnolt. Livrée en 1955, elle témoigne de l’expérience acquise par Scaglione. Réduisant la hauteur des ailes, le designer florentin dessina une courbe subtile et harmonieuse, partant des ailes avant jusqu’à la pointe des phares arrières. La forme du pare brise est raffinée et cerclée de chrome, rappelant la vitre arrière de 765. Un simple coup d’oeil aux dessins de 765 et 762 démontre l’étendue des possibilités offertes par le crayon de Scaglione qui a su s’adapter aussi bien aux gouts européens qu’américains.

Dernière de la lignée des Arnolt Aston-Martin, David Brown ne fournira, dès lors, plus aucun châssis nu.

Cette auto aurait appartenu à Les Neidell, collectionneur, ainsi qu’à Nick Mason, le célèbre batteur des Pink Floyd qui a possédé un grand nombre de voitures mythiques tout au long de sa vie.

LML/503 : Qu’est-elle devenue ?

Le compte n’y est pas, me direz-vous. En effet, nous avons parlé de 8 châssis mais n’en avons présenté que 7.

Il reste en effet LML/503, dont l’histoire reste un mystère, les experts se perdant en spéculations. D’un avis général, il apparaitrait que LML/503 ait été une 2ème Berlinetta identique à LML/765. Sa trace semble se perdre dans l’incendie d’un hangar de stockage d’Arnolt à Chicago en 1955 ou 1956, en compagnie de 12 Arnolt-Bristol.

13 voitures qui partent en fumée dans un incendie… Les superstitieux verront là probablement un signe du destin.

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2 commentaires sur « Arnolt Aston-Martin : la série qui concurrença David Brown. »

  1. Et bien, vous voyez, lorsque vous le voulez, c’est possible ! Bien documenté, relativement complet, bien écrit, bref, un vrai boulot d’historien, même s’il y manque un brin de personnalité …

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