Fin septembre 2017, Retromotiv a eu le privilège de participer à l’Hungaroring Classic, organisé par Peter Auto. Nous n’étions pas à la place du pilote, ne rêvons pas (du moins pas encore). C’est afin d’intégrer l’équipe d’assistance d’une Alfa Romeo GTAm que l’équipe In Your Socks nous a sollicités. Voici l’occasion rêvée de revenir sur l’Histoire de ce modèle aussi rare qu’exclusif.

Pour comprendre la naissance de la GTAm, ce n’est pas vraiment dans l’histoire d’Alfa Romeo qu’il convient de se pencher, mais plutôt dans celle d’AutoDelta et de son créateur, Carlo Chiti.
Carlo Chiti : un début de carrière fulgurant

Ayant entamé une formation d’ingénieur aéronautique après la guerre, Carlo Chiti est embauché chez Alfa Romeo avant même que l’encre de son diplôme n’ait eu le temps de sécher. Riche de ses compétences en design aérodynamique et en mécanique, il conçoit rapidement une version améliorée de l’A6 3000 : l’A6 3000 CM. Le sigle « CM » signifie Competizione Maggiorata (Maggiorata – élargie, en italien, afin de signifier que le moteur a été réalésé à 3,5 litres au lieu des 3 litres d’origine). La réputation de Chiti dépasse les limites de l’atelier de la firme milanaise. Lorsqu’Alfa Romeo met progressivement un terme à ses activités sportives durant les années 50, il est sollicité pour rejoindre la Scuderia Ferrari en 1957. Au sein de l’équipe du Commendatore, où il officie en tant que directeur technique, Chiti participe à l’élaboration de la Dino 246 F1 avec Vittorio Jano, puis il contribue à la conception de la 156 Sharknose. Ces deux monoplaces finissent en tête des championnats 1958 et 1961.



Ferrari : la révolution de palais

Tout va donc pour le mieux, pour Carlo Chiti. Tout, ou presque. Car il y a un personnage qui gangrène la vie des employés d’Enzo Ferrari au sein même de Maranello : Laura Ferrari, la femme d’Enzo.
La vie du Commendatore fut pour le moins tumultueuse. Les disparitions successives des êtres qu’il aimait, l’ont rendu pour le moins taciturnes, certains diront « aigris ». Les pertes de son père, de son frère, puis de son fils chéri, Dino, ainsi que les morts tragiques d’un certain nombre de ses pilotes (Peter Collins, Luigi Musso, Wolfgang Von Trips…) ont, semble t’il, largement contribué à ternir le caractère d’Enzo, jusqu’à le rendre franchement tempétueux. A tel point qu’en 1960, il s’isole et délègue carrément la gestion de son écurie à sa femme Laura. Après tout, pourquoi pas. Sauf qu’elle s’immisce dans toutes les décisions, participe à toutes les réunions, faisant preuve d’ingérence dans tous les domaines. Pour l’équipe de direction, qui n’a plus à faire ses preuves depuis longtemps, s’en est trop. Ils se sentent oppressés, voir espionnés par leur nouveau chef. L’ambiance se dégrade.
Un jour d’automne 1960, Laura Ferrari déboule, furax, dans les locaux de Maranello, accusant Girolamo Gardini, le directeur administratif, de lui avoir volé sa précieuse valise dans laquelle elle range tout un tas de documents, collectés ça et là, dans les bureaux des cadres de la société. Le ton monte et Laura gifle Gardini. Ermano Della Casa, le directeur financier, est présent.
Le soir du 5 novembre 1960, l’ensemble des directeurs de la Scuderia Ferrari se retrouve et décide de démissionner, comme un seul homme.
Le lendemain, 6 novembre 1960, Girolamo Gardini (le directeur administratif), Carlo Chiti (le directeur technique), Giotto Bizzarrini (le directeur du département expérimental), Federico Giberti (le directeur des achats), Enzo Selmi (le directeur des ressources humaines), Romolo Tavoni (le directeur sportif), Ermano Della Casa (le directeur financier) et Fausto Galazzi (le directeur de la fonderie) proposent leur démission à Enzo Ferrari, qui l’accepte.
Chiti, Tavoni et Bizzarrini fondent alors leur propre écurie, ATS (Automobile Turismo e Sport), qui périclite assez vite. Dès lors, chacun suivra son chemin, avec plus ou moins de succès. Pour l’anecdote, à la mort de Laura Ferrari en 1978, la fameuse valise sera retrouvée, cachée au dessus de l’armoire de sa chambre…
La naissance d’AutoDelta
Carlo Chiti décide de revenir à ses premières amoures, avec Alfa Romeo. La société milanaise a confié le développement d’un nouveau prototype de course au carrossier Zagato : le projet 105.11, qui deviendra l’Alfa Romeo Giulia TZ.
Chiti décide de participer à ce projet et fonde AutoDelta en 1963, avec Ludovico Chizzola (lui aussi un ancien de la Scuderia Ferrari, qui est propriétaire de la marque Innocenti). Le rôle d’AutoDelta sera d’assembler les différents éléments de la voiture : la mécanique Alfa Romeo, la carrosserie de Zagato et les pièces en aluminium provenant de chez Gilera.
A la Giulia TZ succède la Giulia TZ2 en 1965. Le succès de cette coopération redonne des ailes à Alfa Romeo qui fait d’AutoDelta son département compétition officiel. Ces deux premiers succès permettent à Chiti de se voir confier le développement de la Tipo 33, véritable laboratoire roulant pour la firme de Milan, dont l’histoire sera pavée de succès. Un modèle routier (Stradale), très exclusif, sera produit à 18 exemplaires entre 1967 et 1969. La Tipo 33 de compétition connaîtra une longue carrière, en catégorie Sport-Proto, sous différentes formes, jusqu’en 1977.



GTA : Alleggerita
Parallèlement, en 1962, Alfa Romeo commercialise un joli petit coupé, sur un dessin de Bertone, la Giulia Sprint GT, puis confie à AutoDelta le soin de concevoir une version sportive.

La société de Carlo Chiti entreprend d’alléger la version 1600 du coupé Giulia. Les panneaux de carrosserie extérieurs sont reconstruits en aluminium (de type Peraluman 25). Les vitrages sont remplacés par du plexiglas. L’intérieur est dépouillé et les roues sont en magnésium. Disposant de 133ch en version Stradale, le moteur développe 170ch, une fois préparé, dans la version Corsa de la GTA. Il est doté d’une culasse à deux bougies par cylindre. Le couvre culasse, les carters d’huile et de distribution, ainsi que la cloche d’embrayage, sont en magnésium. La voiture reçoit des carburateurs Weber 45. Au final, elle ne pèse plus que 740 kg, contre 950 kg pour un coupé de série.

En 1967, la GTA est proposée dans une rare version GTA-SA (SovrAlimentata – Suralimentée) qui offre une double suralimentation au moteur 1600. La puissance fait un bond, atteignant 220ch à 6000 tr/min.

1969 : GTA 1300 Junior et GTAm
Dès 1969, la GTA 1600 disparaît au profit de la GTA 1300 Junior apparue un an auparavant. La grosse différence réside dans la course des pistons qui passe de 82 mm à 67,5 mm. La cylindrée passe de 1570cc à 1290cc, la puissance chute de 133 à 110 ch, permettant à la voiture de courir en catégorie moins de 1300cc. Mais le Bialbero (c’est ainsi qu’on surnomme le moteur double arbre à cames en tête des Giulia) n’en a pas fini avec les évolutions.
Pour courir en catégorie supérieure, AutoDelta propose une toute nouvelle voiture sur la base de la Giulia Sprint 1750, dans sa version américaine, équipée de l’injection mécanique SPICA. Elle prend l’appellation GTAm. Les experts de la marque ne sont pas d’accord sur la signification du « Am ». Pour certains, il signifie America Maggiorata (Amérique, Elargie) à cause de l’origine de la voiture servant de base : une GTV 1750, version US. Pour d’autres, le suffixe signifierait Alleggerita Maggiorata (Allégée, Elargie).
Cette fois, la carrosserie reste en acier et reçoit des ajouts d’ailes rivetés. Ils peuvent être en acier, en aluminium ou en résine, tout comme les ouvrants (portières, capot et coffre). Les vitres sont en plexiglas, comme pour la GTA. Mais la comparaison s’arrête là, le moteur est foncièrement différent, l’origine de la voiture n’est de toute façon pas la même. La préparation du Bialbero, dopée par l’injection mécanique, comporte une culasse spécifique, avec un angle entre les soupapes de 45°. Chaque élément du moteur, le vilebrequin, les arbres à cames, les bielles et pistons, le volant moteur… sont travaillés pour la performance. En fonction des options installées, la puissance peut atteindre juqu’à 240ch. Le freinage est assuré par des disques ventilés ATE et des étriers en aluminium. Le pont comporte un différentiel auto-bloquant ZF. La transmission est équipée de rapports courts.
On ne peut déterminer de façon précise le nombre de GTAm produites puisque AutoDelta fournissait un kit complet de modification à qui pouvait se l’offrir. Certes, il y eut bien quelques voitures « usine », destinées à courir sous la bannière du constructeur, mais la majorité a été préparée par AutoDelta pour des écuries privées. Un certain nombre de kits a même été vendu à des propriétaires afin qu’ils l’installent eux-même sur une GTV de série. Tant que la base est une 1750 à injection dont le numéro de série commence par 105.51, il suffisait de monter les pièces reçues d’AutoDelta pour obtenir une GTAm et la présenter à l’homologation.
Là où ça se complique, c’est que quelques 1750 européennes (numéro de châssis commençant par 105.44), équipées de carburateurs Weber ou Dell’Orto, reçurent aussi le kit GTAm et furent homologuées ainsi. En 1971, les moteurs 1750 eurent le droit de recevoir un bloc-chemise de 1985cc, puis 1999cc, afin de courir en classe 2 litres. Par conséquent, les propriétaires de GTV 2000 (105.21) commencèrent à équiper leur voiture du kit AutoDelta et eurent droit à l’homologation GTAm. Pour ajouter à la confusion, une poignée de GT 1300 Junior, dont le poids était moindre que les GTV 1750 ou 2000, fut convertie en GTAm, après réalésage du moteur. Ces dernières ont leur numéro de châssis commençant par 105.30. Autant dire qu’une mère n’y retrouverait pas ses petits.

Parmi toutes ces voitures qui furent homologuées à l’époque, on trouve aujourd’hui quelques conversions « tardives », pour ne pas dire « répliques », équipées de pièces plus ou moins d’origine AutoDelta, qui tentent parfois de passer pour de vraies GTAm. Il est difficile de prouver, ou de réfuter, leur authenticité.
Les experts s’accordent sur un nombre compris entre 30 et 40 GTAm véritables.