Malcolm Campbell – Henry Segrave : La folle épopée des records de vitesse des années 20 et 30.

Durant les années 20 et 30, les records de vitesse et d’endurance automobile se succèdent rapidement, à tel point qu’ils deviennent obsolètes si tôt le champagne sabré. A la pointe du progrès, les britanniques sont leaders dans le domaine de la performance tandis que les français excellent dans le style et l’élégance. En ces temps où la technologie est considérée comme un véritable art, les deux principaux acteurs de cette quête de la vitesse ultime, Malcolm Campbell et Henry Segrave, vont se livrer un duel de gentlemen.
(cover picture : Seeing Red by John Ketchell)

Malcolm Campbell

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Malcolm Campbell

Fils de bonne famille, la voie de Malcolm Campbell semble toute tracée: reprendre le commerce de diamants de Papa. Lors de son cursus scolaire, il découvre les joies des sports motorisés, notamment en Allemagne où il fait une partie de ses études. De retour en Grande-Bretagne, il participe à des courses de moto, puis de voitures.

Alors âgé de 25 ans, il devient un habitué de Brooklands sur sa propre automobile qu’il a baptisée Blue Bird. Ce surnom lui ait devenu évident, après avoir vu la pièce de théatre L’Oiseau Bleu. Cette oeuvre de Maurice Maeterlinck, reflétant le caractère éphémère du bonheur, a résonné dans la tête du jeune Malcolm. Fils de bonne famille, il possède déjà tout mais comprend qu’il n’atteindra la plénitude que dans une quête : la recherche de la vitesse absolue.

La Première Guerre Mondiale met, momentanément, un terme à ses velléités. Suite à l’armistice, il épouse Dorothy qui lui donnera une fille et un fils, Donald, qui marchera dans ses pas quelques années plus tard.

Malgré son lot de drames, les évènements de 14-18 ont permis à l’industrie de faire un grand pas en avant. Les avions peuvent, désormais, embarquer des moteurs conséquents.

Louis Coatalen
Louis Coatalen

Dès 1919, des fous de mécanique commencent à utiliser ces motorisations jusqu’alors réservées aux biplans et les installent sur de solides chassis roulants. La firme Sunbeam dispose d’un ingénieur de talent en la personne de Louis Coatalen, un breton qui a émigré en Grande-Bretagne. Celui-ci conçoit un moteur V8 à 90°, le Sunbeam Arab, destiné aux avions de l’armée de l’air britannique. Equipé de bielles articulées, l’Arab est sujet à de très fortes vibrations qui occasionnent à plus ou moins long terme sa destruction. Vers la fin de la guerre, Coatalen tente de remédier à ce problème en concevant le Manitou, un moteur en Vé doté d’un angle de 60°.

En 1920, il modifie un moteur Manitou, en y incorporant des éléments d’un Arab (notamment les culasses et l’embiellage pourtant si décrié) et l’installe sur un châssis de sa création, donnant ainsi naissance à la Sunbeam 350HP. Le moteur, dans cette configuration en V12, offre, dès lors, une cylindrée de 18,3 litres. Pilotée par Kenelm Lee Guinness en 1922 sur le circuit de Brooklands, la 350HP inscrit le premier record de vitesse de l’après-guerre en atteignant 215 km/h. Plus tard, en 1924, Campbell rachète la Sunbeam à Coatalen. Elle deviendra la première de ses Blue Bird destinée aux records de vitesse terrestres.

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Kenelm Lee Guinness au volant de la Sunbeam 350HP, en 1922, à Brooklands.
René Thomas lors de la course de côte de Gaillon en Seine Inférieure (Seine-Maritime, près de Rouen) – 1920.

Henry Segrave

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Henry Segrave

De 11 ans le cadet de Campbell, Henry Segrave n’a que 20 ans lorsque la Grande Guerre éclate. Né aux Etats-Unis d’une mère américaine et d’un père irlandais, il grandit en Irlande avant de rejoindre le College d’Eton, en Grande-Bretagne, peu de temps avant le début du conflit. Devenu pilote de chasse dans l’armée de l’air de sa majesté, il retourne dans le civil après l’armistice de 1918. Il se lance entièrement dans les sports automobiles. Il devient rapidement un des meilleurs pilotes de sa génération puis, intégrant l’équipe S.T.D (Sunbeam – Talbot – Darracq), le premier britannique à gagner un Grand Prix au volant d’une voiture de même nationalité, en remportant le GP de France 1923 qui se tient à Tours. A partir de 1926, il quitte le monde des circuits pour se consacrer aux records de vitesse terrestres et aquatiques.

Reprenons l’histoire depuis le commencement.

1922 – 1924 : La genèse de la Sunbeam 350HP Blue Bird

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Austro Daimler Sascha, 1922

1922: le monde panse les plaies de la Seconde Guerre Mondiale, la SDN tente d’unifier les peuples autour de la Paix et Maurice Ravel compose sa Pavane pour une Infante Défunte. Dans les dancing, on profite des dernières danses importées des Etats-Unis, Foxtrot, Charleston

Le 17 juin 1922, Malcolm Campbell est sur la plage de Saltburn pour courir avec une Austro Daimler Sascha. Tout juste un mois après la pointe à 215km/h de Kenelm Lee Guinness, Campbell rêve de s’essayer, à son tour, au jeu des tentatives de record.  Il emprunte la Sunbeam 350HP de Coatalen, présent, lui aussi, à Saltburn et roule à 222,22 km/h, une vitesse encore jamais atteinte. Malheureusement, son exploit n’est pas validé par la Commission Sportive, basée à Paris, car le chronométrage a été effectué manuellement et non à l’aide de l’appareillage automatique, seul homologué. Mais il n’en faudra pas plus à Campbell pour attraper le virus. Avec acharnement, il persuade Coatalen de lui vendre la Sunbeam.

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Campbell, à Saltburn, au volant de la Sunbeam 350HP.

Une fois en sa possession, il repeint la 350HP de couleur bleue, conformément à son surnom : Blue Bird. Un an plus tard, il part pour le Danemark, à Fanø, où il roulera presque aussi vite qu’à Saltburn (221,64km/h). Ce nouvel exploit, comme le précédent, n’est pas reconnu officiellement à cause de la méthode utilisée pour le chronométrage.

De retour en Grande-Bretagne, il confie la 350HP aux bons soins de l’avionneur Boulton Paul, à Norwich. La société, qui fabrique notamment des avions de chasse pour la Royal Air Force, s’attèle à perfectionner l’aérodynamique de la Sunbeam. La calandre est affinée et l’arrière est pourvu d’un appendice en pointe. Quant au moteur, il reçoit de nouveaux pistons qui augmentent le taux de compression.

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Campbell retourne sur la plage danoise de Fanø, durant l’été 1924, bien décidé à tester les capacités de sa nouvelle machine.

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Une foule immense s’est amassée le long du rivage malgré une météo exécrable. Les conditions de sécurité ne sont pas réunies: la plage est envahie de badauds se déplaçant à leur guise, sans le moindre contrôle.

Il s’élance pour une première tentative mais deux de ses pneus déjantent et manquent d’atteindre la foule. Campbell proteste alors. Aucune initiative n’a été prise pour tenter de contenir les spectateurs. Il signale aux organisateurs qu’il décline toute responsabilité en cas d’accident; à la suite de quoi, il repart pour une deuxième tentative. Cette fois encore, un pneu éclate et les débris viennent frapper un jeune garçon qui décèdera de ses blessures. Campbell abandonne pour cette fois et quitte la plage de Fanø qui n’accueillera, dès lors, plus aucune tentative de record de vitesse. Il lui faut une nouvelle piste. Il part en quête d’une plage du Royaume-Uni capable d’organiser un tel évènement en toute sécurité.

1924 : Records à Arpajon

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La ligne droite d’Arpajon, qui file vers le sud-ouest, en direction de Torfou.

La même année, en France, on tente de battre le record de Kenelm Lee Guinness, resté officiellement invaincu depuis 1922. A Arpajon, il existe une portion de la nationale 20 en ligne droite entre le sud de la ville et le Bas de Torfou. Longue d’environ 6 kilomètres, la route a été recouverte en 1923 d’un nouveau revêtement venu des Etats-Unis : le Monolastic. Ce mortier bitumineux a l’avantage d’être très fin et sans poussière. Une grande innovation pour l’époque où la majorité du réseau routier n’est pas encore goudronnée. Le 6 juillet 1924, le français René Thomas défie le britannique Ernest Eldridge. Au volant de la toute nouvelle « Torpille », construite sur la base d’une Delage DH et équipée d’un V12 de 10,5 litres développant 280ch, René Thomas réussit à atteindre la vitesse de 230,47 km/h. Un record validé par la Commission sportive. Six jours plus tard, le 12 juillet, c’est le britannique Ernest Eldridge qui profite à son tour des conditions exceptionnelles offertes par cette route. Il a amené une voiture déjà légendaire : la Fiat Méphistophélès. Pourquoi six jours plus tard ? Car le règlement du pari oblige Eldridge à adapter un mécanisme de marche arrière, absent sur sa voiture. Comment a t’il réussi à faire fonctionner un tel mécanisme alors que sa boîte de vitesse n’en comportait pas ? Cela reste encore un mystère à ce jour; cette partie du véhicule ayant disparu depuis…

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Ernest Eldridge, Arpajon, 1924

Construite en 1908, la Fiat SB4 a d’abord appartenu à John Duff, un des premiers Bentley Boys. Après l’avoir quasiment détruite à Brooklands en 1922, il revend l’épave à Ernest Eldridge qui rallonge le chassis grâce à des éléments issus d’un bus londonien et installe un moteur d’avion de 21,7 litres, développant 320ch. L’échappement libre de la bête lui valut alors ce  nom de Méphistophélès. C’est dans cette configuration que le monstre ainsi créé et son pilote réussirent à atteindre la vitesse de 234,98 km/h sur la Nationale 20 d’Arpajon.

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1924 – 1925 : Malcolm Campbell s’impose.

Mis au pied du mur, Campbell se doit de réagir. Il a trouvé sur la plage de Pendine Sands, au Pays de Galles, les conditions idéales pour reprendre la main. Le 25 septembre 1924, il s’élance avec sa Sunbeam fraîchement améliorée. Après quelques runs chronométrés comme ils se doivent, les résultats tombent : il a surpassé le record de Eldridge de moins d’1 km/h, en atteignant 235,22 km/h. Loin d’être un exploit, Malcolm savoure tout de même cette performance mais il sait qu’un écart si faible risque d’être rapidement transcendé. De plus, la vitesse de 235,22 km/h équivalant à 146,16 miles par heure, il aurait aimé être le premier homme capable de dépasser les 150 mph. Mais tant pis, ce sera pour la prochaine fois. Il préfère tenter un coup financier et met la Sunbeam en vente pour 1500£, espérant surfer sur la notoriété de sa voiture et en tirer un bon prix. Peu de temps après, alors qu’il n’a pas encore vendu sa Blue Bird, il apprend que John Parry-Thomas envisage de vaincre la barrière des 150 mph. Ni une ni deux, Campbell retire la Sunbeam de la vente et se remet au travail. Il affine encore l’entrée d’air du radiateur et ajoute des flasques aux roues arrières. Il peaufine les réglages et, le 21 juillet 1925, il est de retour sur la plage de Pendine Sands, déterminé à se surpasser.

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Malcolm et Dorothy Campbell
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A la fin de la journée, la réussite est au rendez-vous. Son meilleur run lui donne une vitesse de 242,79 km/h, soit 150,86 mph. C’est juste, mais il a atteint son objectif. Désormais, il attend Parry-Thomas au tournant, conscient que, de toute façon, sa chère Sunbeam a donné tout ce qu’elle pouvait et qu’il  lui sera désormais difficile d’en tirer plus. Son exploit lui vaudra quelques contrats publicitaires juteux avec des marques de bougies d’allumage et d’huile.

Contrairement à ce que Campbell imagine, la concurrence ne viendra pas de Parry-Thomas, du moins pas tout de suite, mais d’un jeune pilote, bien connu du monde des Grand Prix. Ce dernier débute tout juste dans le monde des records de vitesse terrestres; il s’agit d’Henry Segrave.

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En attendant, Campbell quitte la Grande-Bretagne, en compagnie de son ami Kenelm Lee Guinness, pour une toute autre aventure. Les deux hommes sont en quête du trésor de Lima et font route vers les Iles Cocos. A son retour, Guinness et sa société K.L.G prendront une part importante dans les tentatives de record de Campbell et Segrave.

Mais gardons cela pour la suite.

1926 : Henry Segrave se lance

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Segrave et Ladybird

En 1925, Louis Coatalen décide de construire une  nouvelle voiture capable d’être compétitive sur circuit mais aussi de battre le record de vitesse actuel. Un pari osé. Comme base à ses travaux, il utilise les Sunbeam de Grand Prix et leur moteur 6 cylindres en ligne de 2 litres. En positionnant deux de ces moteurs pour former un Vé à 75°, il conçoit un V12 de 4 litres. Il ajoute un compresseur qui permet à ce nouveau bloc de développer 306ch. Fort de ses victoires en Grand Prix depuis 1922, Henry O’Neil de Hane Segrave, dit simplement Henry Segrave, est ce qu’on appellerait aujourd’hui un pilote officiel pour l’équipe Sunbeam. Il est chargé de tester les nouveaux modèles qui sortent de l’imaginaire fertile de Coatalen. Cette tâche lui plaît énormément et c’est donc plein d’enthousiasme qu’il prend, en ce mois de septembre 1925, la direction du circuit de Brooklands, à bord du prototype qui n’a même pas encore reçu sa peinture. Sur place, il atteint la vitesse de 233 km/h sur une distance inférieure à 1/2 mile.

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Les premiers essais de la Sunbeam Tiger

Tout ça est très prometteur. Quelques finitions et une belle livrée rouge plus tard, Henry Segrave est prêt à relever le défi : battre son compatriote Malcolm Campbell. Il choisit la plage de Ainsdale Beach, à Southport. Elle est facilement accessible depuis Wolverhampton, le siège de Sunbeam près de Birmingham, en empruntant la M6. Le 16 mars 1926, en toute simplicité et devant très peu de spectateurs, Segrave et Ladybird, ainsi nommée à cause de sa couleur rouge, atteignent la vitesse de 245,15 km/h, soit 152,33 mph. Son record, en bonne et dûe forme, est validé par la Commission Sportive. Il devient à son tour l’homme le plus rapide du monde, mais pour un temps seulement.

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1926 : Babs

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John Parry-Thomas

La rumeur de 1925 qui murmurait que John Parry-Thomas allait s’essayer au record de vitesse est en train de devenir réalité. La société, qu’il a créée suite à son départ de chez Leyland où il fut à l’origine de multiples innovations, se nomme Thomas Inventions Development Co. et se trouve au sein même du circuit de Brooklands. Bien qu’il soit déjà un acteur bien connu des courses du célèbre autodrome, Parry-Thomas se dit que participer à des tentatives de record de vitesse ferait une bonne publicité pour sa société. Il fait alors l’acquisition de Chitty Bang Bang IV, l’une des créations que le Conte Zborowski a conçue avec l’aide de Clive Gallop, un autre célèbre Bentley Boy. Le châssis a été construit dans les ateliers de Zborowski, situés à Higham Park, près de Canterbury. De ce fait, la voiture est parfois connue sous le nom de Higham Special. Le moteur est américain, de type Liberty et initialement destiné à propulser un avion. Il dispose d’une cylindrée totale de 27 litres et d’une double transmission par chaînes de Blitzen Benz.

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A la mort du Conte en 1925, John Parry-Thomas achète donc la voiture pour la modique somme de 125£. Inachevée à l’époque de son achat, Parry-Thomas décide de la terminer en vue de participer à une tentative de record de vitesse terrestre. Il adapte quatre carburateurs Zenith et des pistons de sa conception. Le moteur développe 450ch. Chitty IV devient alors Babs. En avril 1926, à peine les travaux terminés, Parry-Thomas étrenne sa nouvelle monture sur les bancs de Brooklands, à la tombée de la nuit, sans phares.

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Un peu plus d’un mois après l’exploit de Henry Segrave, John Parry-Thomas tente à son tour sa chance. Le 27 avril 1926, sur la plage de Pendine Sands, il parvient à atteindre la vitesse de 169,29 mph (272,45 km/h). Le lendemain, il tente de faire mieux et devant des spectateurs ébahis, Babs parvient cette fois à dépasser les 170 mph (171,01 mph soit 273,60 km/h). Un bel exploit pour un homme qui n’a pas la notoriété d’un Segrave, ni les moyens financiers d’un Campbell. Son record tiendra presque un an.

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1927 : Le retour de Campbell

Désormais, l’objectif de tous ces pilotes est de dépasser la barrière des 200 mph. Campbell, que l’on n’a pas revu sur les plages de record depuis sa performance de 1925, prépare une nouvelle machine. Aidé de son mécanicien personnel, Leo Villa, et de l’ingénieur Amherst Villiers à qui l’on doit la conception des Bentley Blower de Sir Henry « Tim » Birkin, Malcolm Campbell termine la fabrication de sa nouvelle voiture, au début de l’année 1927. Il opte pour le moteur Napier Lion; la voiture prend donc le nom de Campbell-Napier. Ce bloc, composé de trois bancs de 4 cylindres chacun disposés en W, cubant 22,3 litres au total, développent, sur cette Blue Bird II, 500ch. La voiture pèse 3 tonnes. Première voiture ayant été spécifiquement conçue pour battre un record de vitesse, elle est la fierté de Campbell. Malgré tout, elle présente encore une architecture conventionnelle, avec le moteur placé à l’avant, refroidi par un radiateur derrière la calandre. Le pilote, quant à lui, est placé à l’arrière du moteur, comme cela se fait sur les voitures de Grand Prix de l’époque.

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Une fois sa nouvelle machine mise au point, Campbell procède à des essais en janvier 1927 durant lesquels il frôle les 200 mph sans toutefois parvenir à les dépasser. Le 4 février, sans se préoccuper des conditions météorologiques, ni de l’état de la plage, il emmène la Blue Bird II à Pendine Sands et se prépare, il l’espère, à franchir cette barrière devenue mythique des 200 mph. Il pleut. Le moteur est si puissant que les roues ont du mal à adhérer sur le sable détrempé. Malcolm Campbell parvient tout de même à s’élancer progressivement. En passant sur une bosse, il manque de perdre ses lunettes et tente de les remettre en place, conduisant d’une main. Il y parvient finalement et boucle ses différents runs sans incident. Les résultats sont décevants. Certes, il a encore repoussé le record en atteignant la vitesse de 281,44 km/h (174,88 mph) mais n’a pas réussi à franchir les 200 mph. Cette fois encore, Campbell vend sa notoriété à des fins publicitaires, notamment pour l’horloger Rolex.

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Fin tragique de John Parry-Thomas

Un mois plus tard, le 3 mars 1927, John Parry-Thomas, qui s’affirme comme le principal concurrent de Campbell depuis un an, est bien décidé à dépasser les 200 mph. Il se présente sur la plage de Pendine Sands avec Babs. Parry-Thomas s’élance mais perd le contrôle de sa voiture qui se retourne à plus de 160 km/h. On retrouvera l’auto avec une roue en moins. Le malheureux pilote est décapité et sera inhumé à Byfleet, dans le Surrey. L’enquête, effectuée sur la voiture gisant toujours sur la plage, conclut qu’une chaîne de transmission s’est détachée, tranchant la gorge de John Godfrey Parry-Thomas. A l’issue de ces conclusions, le siège de Babs est lacéré, les cadrans des compteurs sont cassés et l’épave est enterrée à même le sable. Plus aucune tentative de record n’aura lieu sur la plage de Pendine Sands.

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En 1967, 40 ans après l’accident, un passionné d’automobile du nom d’Owen Wyn Owen décide d’exhumer la carcasse de Babs et de la restaurer. La localisation de la « sepulture » est retrouvée, grace à des photos d’époque, sur un terrain qui est désormais occupé par l’armée. Une fois les autorisations obtenues, les pelleteuses entrent en scène et mettent à jour l’épave. Les premières constatations font apparaître que le pilote de l’époque a vraisemblablement été tué par les tonneaux et la glissade survenus lors de l’accident, et non à cause d’un détachement de la chaîne.

Il ne faut que 3 ans à Owen pour restaurer la voiture et la présenter au public. Elle trône désormais au Pendine Museum of Speed et fait des apparitions publiques remarquées, notamment lors du Festival of Speed de Goodwood.

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Segrave franchit la barre des 200 mph et des 300 km/h à Daytona Beach

Dès 1926, à l’issue de son exploit au volant de LadyBird, Segrave rejoint Coatalen et participe à la conception d’une nouvelle machine, à l’instar de Malcolm Campbell. Elle aussi est destinée à faire tomber la barre des 200 mph. Cependant, les moyens financiers de la société Sunbeam-Talbot-Darracq sont faibles. Ils utilisent deux moteurs Sunbeam Matabele d’occasion de 22,4 litres chacun (122 mm d’alésage pour 160 mm de course), récupérés sur un canot rapide, le Maple Leaf VII qui avait coulé en 1921 au cours de la course Harmsworth Trophy.

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Chaque moteur dispose d’un double allumage. La voiture est entièrement pensée pour la haute vitesse en ligne droite. Le pilote est installé au centre du châssis, légèrement décalé vers la droite. Le premier moteur est placé devant lui, refroidi par un radiateur disposé à l’avant. Le deuxième moteur se trouve derrière le poste de pilotage avec un système de refroidissement placé de part et d’autre du châssis. L’air y est acheminé par des louvres et des conduits. La carrosserie aérodynamique a été élaborée dans les souffleries de l’avionneur Vickers. Les roues sont intégrées au carénage. Le moteur arrière est démarré à l’air comprimé, puis est utilisé pour démarrer l’autre moteur via un embrayage. Une fois les deux blocs de 22 litres en marche, ils sont solidarisés via un système à crabots. Bien qu’elle ne développe que 900ch, la voiture est annoncée comme étant la Sunbeam 1000hp à des fins publicitaires. Dunlop met au point des pneus spécifiques censés resister à une vitesse de 320 km/h pendant 3 minutes et demi.

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Segrave reçoit un soutien technique et moral en la personne de Kenelm Lee Guinness, le recordman de 1922. Ce dernier, qui a développé une bougie d’allumage révolutionnaire constituée d’un isolant en mica, sponsorise la tentative et fournit tout naturellement les 48 bougies portant le nom de sa marque : K.L.G. Guinness sera dès lors le fournisseur de toute tentative de Segrave et Campbell.

Les dimensions de la Sunbeam 1000hp sont inédites : 7,01 m de long avec un empattement de 3,58 m et des voies de 1,57 m. Elle n’est pas plus haute qu’1,08 m avec une garde au sol de 17,8 cm. Elle pèse 3,533 tonnes à vide. Afin de synchroniser les deux moteurs et de s’assurer que tout fonctionne, la Sunbeam de Segrave est testée sur un banc pendant 6 heures, puis reçoit une livrée rouge. La voiture est présentée à la presse en février 1927 et obtient le doux surnom de « The Slug » (la limace).

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La Sunbeam 1000HP sur le banc d’essai.
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La Sunbeam 1000HP avec les écopes latérales modifiées.
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Une question à laquelle Segrave doit donner une réponse : où va-t-il faire sa tentative ? Pendine Sands n’accueille plus de tentative depuis la mort de Parry-Thomas. La plage de Southport est bien trop courte. Il se tourne alors vers les USA où les pilotes américains testent les vitesses de pointe de leurs voitures sur les 37 km de la plage de Daytona, en Floride, depuis 1904. Beaucoup sont contre cette idée chez Sunbeam. Ils considèrent inconcevable de faire rouler une telle machine britannique en dehors de son pays natal. Segrave est obligé d’organiser l’évènement sans aucun soutien financier, sur ses propres deniers. Cette décision force la Commission Sportive Internationale à négocier longuement avec l’AAA (American Automobile Association) sur les modalités d’homologation et de chronométrage.

Finalement, fin février 1927, Segrave arrive aux USA. Le 21 mars, la Sunbeam 1000hp, surnommée « The Mystery S. » par les américains, fait ses premiers tours de roue sur la plage lors d’une session d’essai. Mécaniquement, tout se passe plutôt bien mais la foule des spectateurs sur la plage est difficilement contrôlable. La voiture accélère sur une distance de 6,4 km (4 miles), la zone de mesure de vitesse se présente ensuite comme une portion d’1 mile (1,6 km). Pour finir, 6,4 km de sable (4 miles) permettent la décélération et l’arrêt de la Sunbeam. La voiture s’avère tout de même difficile à diriger et un nouveau boîtier de direction est installé sur la voiture en dernière minute. Le 24 mars, une nouvelle session d’essai est organisée. La municipalité a mobilisé de nombreuses forces de Police afin de discipliner la foule mais il est toujours difficile de gérer les milliers de spectateurs présents.

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Le 29 mars, la décision est prise de tenter le record. Devant plus de 30 000 visiteurs, Segrave s’élance vers le Nord. Il doit lutter contre un vent fort qui tend à dévier la Sunbeam. Il heurte même un drapeau positionné pour délimiter la « piste » mais l’incident est sans conséquence. A la fin de la zone de mesure, Segrave se rend compte que la voiture ne ralentit pas autant qu’il l’avait prévu et vers la fin de la zone de décélération, il écrase les freins qui perdent immédiatement toute efficacité. Il est contraint de se déporter vers la mer et de rouler dans l’eau pour ralentir la Sunbeam.

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Les résultats de ce premier run sont à la hauteur des espérances de l’équipe Sunbeam : la vitesse mesurée est de 200,669 mph (322,945 km/h). Segrave s’élance alors pour son second run, vers le Sud cette fois, avec le vent dans le dos. A la fin de ce run qui, cette fois, se déroule sans incident, la vitesse mesurée est de 207,016 mph (333,160 km/h). Le record  obtenu étant la moyenne des deux, il inscrit aux tableaux des records une vitesse de 203,793 mph (327,973 km/h). L’exploit est de taille : plus de 50 km/h plus rapides que les précédentes performances de Parry-Thomas et Campbell. Segrave ne se privera pas pour le faire savoir. Un rivalité va naître entre les deux gentlemen, sans animosité, mais bien mise en exergue par la presse de l’époque. Il faut dire aussi que Segrave détrône Campbell tout juste 1 mois et demi après son précédent record.

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La Sunbeam 1000HP part ensuite en promotion mondiale. On la voit notamment lors de la Coupe de Commission Sportive, le 2 juillet 1927, à Montlhéry, pour un tour d’honneur avec Albert Divo à son volant.

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1928 : La réplique de Campbell

Campbell se donne un an pour mettre sa Napier Bluebird au niveau de « la limace » Sunbeam. Il décide, dès le début, une refonte totale de sa voiture en conservant le châssis. Les 450ch de son W12 Napier lui paraissent désormais bien peu et il contacte le ministère de l’air britannique pour obtenir le nouveau moteur Napier Lion VIIA, développé pour le Supermarine S.5 et la course aérienne Schneider Trophy 1927.

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Fort de ses 900ch, cette mécanique de pointe devrait remettre les pendules à zéro entre Segrave et Campbell. Le fuselage de ce qui deviendra la Blue Bird III est élaboré en collaboration avec l’avionneur Vickers et réalisé par le carrossier H.J Mulliner. La principale innovation réside dans l’ajout d’un aileron amovible vertical à l’arrière, assurant une meilleure stabilité en ligne droite. L’inspiration aéronautique est clairement visible. Les radiateurs de refroidissement sont déplacés sur les côtés de l’aileron arrière, permettant au nez de la machine d’être totalement fermé et aérodynamique. Les roues arrières reçoivent des éléments de tôle dont le but est de réduire la trainée.

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Afin de faire jeu égal avec Segrave, Campbell opte aussi pour la plage de Daytona. Le 19 février 1928, il s’élance sur le sable. Lancée à pleine vitesse, Blue Bird III roule sur une bosse qui fait rebondir Campbell sur son siège. Comme à Pendine, il manque de perdre ses lunettes, ce qui l’oblige à relever son pied de l’accélérateur. La voiture commence une longue glissade que Campbell réussit finalement à juguler. Arrivée au bout de son run, sans s’arrêter, ni changer de pneus, il repart en sens inverse. Cette fois, il ne heurte aucune bosse et ses pneus tiennent le choc. Péniblement, il parvient à dépasser la vitesse de son illustre compatriote en atteignant 333,05 km/h (206,95 mph), soit à peine plus de 4 km/h au dessus de la vitesse atteinte par Segrave un an plus tôt. Campbell le sait : ce nouveau record ne tiendra pas longtemps.

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En effet, deux mois plus tard, un américain tente sa chance. Après avoir vu les deux anglais s’affronter en terre américaine, il n’est pas surprenant que l’idée d’en faire autant soit venu à l’esprit des indigènes. Financé par une société privée, Ray Keech prépare une voiture dont la finesse est toute américaine : 3 moteurs Liberty (identiques à celui qui propulsait Babs) sont montés sur un chassis grossièrement carrossé. Cubant 27 litres chacun, la cylindrées totale du groupe moto-propulseur n’affiche rien de moins que 81 litres, développant 1500ch. Sans considérations aérodynamiques, cette machine, nommée White Triplex en l’honneur de son instigateur, J.H. White, parvient tout de même à surpasser le dernier exploit de Campbell de moins d’1 km/h avec une pointe à 334,02 km/h (207,55 mph). Ce baroud d’honneur tiendra tout de même un an avant d’être transcendé.

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White Triplex

1929 : Campbell tente sa chance en Afrique du Sud

Dans le but de trouver un lieu où les marées et, éventuellement, le vent poseraient moins de contraintes qu’une plage, Campbell part explorer l’Afrique en avion. Il découvre quelques zones interessantes mais leur accès est difficile. Il déniche finalement une zone plus prometteuse : le lac asséché de Verneukpan, situé à 750 km de la ville du Cap. Il forme une équipe afin de préparer une tentative de record sans prendre la mesure des dangers inhérents à la zone. Comme frappé par une malédiction, Campbell perd une sacoche contenant des documents précieux. Puis, son avion s’écrase un jour qu’il volait entre Le Cap et Verneukpan. Sur place, la chaleur, qui atteint les 42°C à l’ombre, est très paralysante. Elle provoque des mini tornades de sable et des mirages. Certains membres de l’équipe jurent avoir aperçu des arbres au milieu de nul part, voire des silhouettes fantomatiques… Le lit du lac asséché est infesté de scorpions et de grosses pierres pointues sont disséminées ça et là. Lorsque les hommes de Campbell tentent de retirer celles qui se trouvent sur le futur passage du bolide, elles laissent des trous…

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En parallèle, il fait encore modifier Blue Bird. La carrosserie est entièrement redessinée et construite chez Arrol-Aster. Le poste de pilotage est surélevé car désormais la position de conduite l’oblige à être à califourchon sur la boîte de vitesse. Les radiateurs sont remis à l’avant de la voiture, protégés par une proue en forme d’ogive grillagée amovible. Lorsqu’il arrive sur place, alors qu’il n’a pas plu une goutte depuis des mois dans cette région aride, des trombes d’eau s’abattent sur le Verneukpan, repoussant les tentatives de Campbell à une date ultérieure.

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Après moults péripéties qui auront duré des mois, Campbell tente enfin d’inscrire un record sur la piste préparée de Verneukpan. Nous sommes en avril 1929. Il ne peut ignorer que, six semaines plus tôt, Segrave vient de franchir la barre des 230 mph (370 km/h – voir le paragraphe suivant) mais il se doit d’essayer, malgré tout. Afin de ne pas rester sur un échec, il décide de valider des records sur longue distance, 5 kilomètres au lieu de 1,6 (3 miles au lieu de 1). La vitesse maximale qu’il atteint est de 341 km/h (212 mph). C’est insuffisant et, tel Penelope, il sait qu’il va devoir se remettre à l’oeuvre pour concevoir une voiture capable d’aller à 250 mph (400 km/h).

11 mars 1929 : la Golden Arrow de Segrave

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Jack Irving

Revenons en 1928. Pendant que Campbell tente de dompter la nature sauvage africaine, Segrave et ses techniciens planchent sur une nouvelle machine. Il s’entoure de mécaniciens de talent dont Jack Irving, un disciple de Louis Coatalen chez Sunbeam. Ils décident d’utiliser la science de l’aérodynamique dès le début du projet. Habituellement, les voitures ne passaient en soufflerie qu’afin d’améliorer leur profil. Le moteur retenu est, comme pour la Blue Bird de Campbell, le vaillant Napier Lion VIIA de 23,9 litres, destiné à équiper les avions du Schneider Trophy. Spécialement préparé pour cette machine, le moteur développe 925ch. Elle prend le nom de Irving-Napier.

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La carrosserie, élaborée par Thrupp & Maberly, est équipée de compartiments à glace, situés le long du fuselage, à travers lesquels circulent les tubulures de refroidissement du moteur. Les roues sont carénées. La forme de cet ovni de la route est un chef d’oeuvre d’Art Déco qui s’intègre parfaitement dans la mouvance artistique de l’époque, le Futurisme, dont le crédo est de parvenir à figer le mouvement. Afin de faciliter la tenue du cap, on place un viseur en bout de capot. La voiture reçoit une livrée couleur or qui lui vaudra son surnom de Golden Arrow.

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Lorsque Segrave s’élance sur la plage de Daytona Beach, le 11 mars 1929, 120 000 spectateurs sont venus assister à la performance. Il ne lui faut qu’un seul passage pour inscrire un nouveau record à 372,66 km/h (231,56 mph). A la fin du run, Segrave reprend la route principale de Daytona, vers le garage , au volant de la Golden Arrow, soulignant ainsi la grande maniabilité de cette auto censée n’être capable de rouler qu’en ligne droite.

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Henry Segrave, cette fois encore, pulvérise le précédent record, celui de Ray Keech et de la White Triplex, ce qui lui vaudra d’être anobli par la Reine.

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Jim White, le propriétaire et principal investisseur du projet White Triplex, exige que le record revienne de nouveau à sa voiture. Ray Keech décline l’invitation, par prudence. Il « ne le sent pas », cette fois ci. On fait donc appel à un mécanicien : Lee Bible. Ce dernier n’a aucune expérience dans la conduite à haute vitesse. Il monte à bord du bolide pour ce qui sera le premier run de sa vie. Après deux passages sans parvenir à surpasser Segrave, il s’élance pour un troisième, qui sera aussi le dernier. Il perd le contrôle de la voiture et se tue, emportant avec lui la vie d’un photographe reporter. Après la mort de son ami Parry-Thomas, puis de celle de Bible en voulant le battre, Segrave renonce à toute tentative de record de vitesse terrestre, leur préférant les records sur l’eau. La Golden Arrow ne roulera plus jamais.

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Malheureusement, Henry Segrave perdra, à son tour, la vie en 1930, à la barre de Miss England II, lors d’une tentative sur le lac de Windermere.

Voici des images d’époque retraçant le record de la Golden Arrow et le crash de la White Triplex :

Ultime tentative de Sunbeam : la Silver Bullet

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Louis Coatalen, via la société Sunbeam qui est à l’agonie, tente de construire une machine pour atteindre les 400 km/h : la Silver Bullet. Un moteur est spécialement conçu à cet effet. Son utilisation sur cette voiture de record servira de banc d’essai, le moteur étant destiné ultérieurement à équiper des avions. Malheureusement, la Sunbeam manque cruellement de moyens et la mise au point de ce V12 turbocompressé de 24 litres, développant 2000ch, est bâclée. La Silver Bullet accueille deux moteurs de ce type, portant la cylindrée totale à 48 litres pour une puissance annoncée de 4000ch, de loin la plus puissante des machines de l’époque.

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Présentée à la presse le 21 janvier 1930, la voiture propose quelques belles innovations, comme un double aileron à géométrie variable. Elle possède, en outre, un système de refroidissement moteur similaire à la Golden Arrow, basé sur l’utilisation de compartiments remplis de glace.

Malheureusement, l’équipe de Wolverhampton rencontre une multitude de problèmes de mise au point. Un tentative de record est organisée à Daytona, mi-mars 1930. La Silver Bullet, pilotée par Kaye Don, peine à atteindre les 300 km/h. La vitesse maximale atteinte est de 299 km/h.

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Quelques améliorations furent testées à Pendine Sands, de retour en Grande-Bretagne, sans succès. La firme Sunbeam ne dispose plus des moyens financiers nécessaires à l’accomplissement d’un tel programme et le projet est finalement abandonné. La Silver Bullet est revendue à un hôtelier de Southport, Jack Field, qui ne parvient pas non plus à tirer la quintessence du moteur de Coatalen. Il décide finalement de démonter la voiture pour vendre les pièces.

Campbell, seul, en route vers les 400 km/h

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Reid Railton

Dès lors, Campbell n’a plus de réel opposant. Il décide à nouveau de construire une voiture à partir du châssis qu’il conserve de la version de 1927. Cette fois, il fait confiance à Reid Railton. C’est un ingénieur ayant débuté chez Leyland, puis chez Sunbeam, avant de devenir directeur de l’équipe technique de Thomson & Tailor, basé dans l’enceinte du circuit de Brooklands, à qui Campbell confie le soin de concevoir sa nouvelle machine. Les solutions techniques s’inspirent de la Golden Arrow : un solide châssis sur lequel repose un moteur Napier Lion, cette fois dans une version compressée, développant 1450ch. La boîte de vitesse et l’arbre de transmission sont décalés du centre de la voiture afin d’assurer un poste de pilotage à ras du sol et une meilleure aérodynamique. La fabrication des panneaux de carrosserie revient à Gurney Nutting, un exercice bien différent des habituelles berlines de luxe sur lesquelles la marque a fondé sa réputation. La voiture se termine par un large aileron de stabilisation. Les roues sont équipées de flasques et de déflecteurs d’air. Deux ans vont s’écouler depuis l’exploit de la Golden Arrow de Segrave avant que Campbell ne foule à nouveau la plage de Daytona à bord de cette nouvelle Campbell-Napier-Railton Blue Bird.

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Le 5 février 1931, il atteint la vitesse de 396,03 km/h (246,08 mph).

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Côte à côte sur la même photo : Miss England II (bateau du record de Henry Segrave), le Supermarine S.6B (l’avion vainqueur du Schneider Trophy) et la Blue Bird de Malcolm Campbell.

Un an plus tard, Campbell tente de surpasser son propre exploit avec la même voiture n’ayant subi que quelques améliorations, notamment au niveau du nez. Il parvient, à cette occasion, à dépasser les 400 km/h (et les 250 mph) sur les 10 miles que compte la plage de Daytona. Cette dernière commence à devenir un peu étriquée pour ce genre de performance, mais en ce jour du 24 février 1932, Campbell atteindra malgré tout la vitesse de 408,71 km/h (253,96 mph).

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Rolls-Royce R

Courant 1932, Campbell délaisse définitivement le vénérable moteur Napier pour un nouveau V12 Rolls-Royce R développant 2300ch et pesant 770 kg. C’est ce même moteur qui sera utilisé plus tard, dans sa version Merlin, à bord des Spitfire et des Hurricane lors de la seconde Guerre Mondiale. Bien que le châssis demeure, la carrosserie est une nouvelle fois revue entièrement, ne serait-ce que pour parvenir à y loger le moteur de 36,7 litres dont les culasses nécessiteront les deux bosses caractéristiques sur le long capot du bolide.

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Le 22 février 1933, Campbell et sa nouvelle Blue Bird à moteur Rolls-Royce atteignent la vitesse maximale de 438,48 km/h (272,46 mph) lors d’un des runs. Castrol, fournisseur de l’huile pour ce record, profite de l’occasion pour faire sa pub.

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Toujours en quête de gloire et de vitesse, il fait redessiner une nouvelle fois sa machine qui offre, désormais, des lignes plus tendues et un nez carré à l’avant, équipée d’une entrée d’air pouvant être fermée depuis le poste de pilotage, afin de réduire la trainée. Le train arrière est entièrement revu, les roues sont doublées de part et d’autres afin d’améliorer l’adhérence.

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Le 7 mars 1935, persuadé de franchir la barre des 300 mph (482 km/h), il retourne à Daytona. Dans les radios, le Lindy Hop remplace peu à peu le Charleston, comme si, même la musique était en quête de vitesse. Mais pour Campbell et sa voiture, si tant est qu’on peut encore appeler cet engin une voiture, les conditions ne sont pas idéales. La longueur de la plage n’est plus suffisante. De plus, le sable n’est plus assez dur et le glissement des roues lui fait perdre pas loin de 80 km/h en pointe. Il atteint, malgré tout, un nouveau record à la vitesse de 445,32 km/h (276,71 mph).

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Déçu, Malcolm Campbell décide de trouver une piste à la hauteur de sa monture. Son choix se porte sur le lac de Bonneville, dans l’Utah, un autre haut lieu américain de la vitesse. Le revêtement de ce lac salé est très corrosif mais aussi très dur.

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Le 3 septembre 1935, il s’élance pour son premier run sur la surface hostile du Grand Lac Salé. Arrivé au terme de sa ligne droite, trois de ses pneus sont usés jusqu’à la corde, le quatrième a explosé et est littéralement en feu. Campbell s’est fait peur. Alors qu’il tente de s’approcher pour parler à son père, le jeune Donald Campbell voit la terreur mêlée à une intense concentration sur un visage paternel qui ne donne aucune réponse en retour. C’est dans un état d’angoisse extrême que Malcolm s’élance pour son deuxième passage. La fin de cette interminable ligne droite aurait pu être tragique, la voiture terminant dans une longue glissade qui, heureusement, ne finira pas en drame. La moyenne enregistrée pour cette tentative est de 301,129 mph (484,620 km/h), le pari est remporté, de justesse. 

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C’en est fini pour Malcolm Campbell qui va désormais se consacrer aux tentatives de records de vitesse sur l’eau jusqu’en 1939 et la Seconde Guerre Mondiale. Après le conflit, il sera victime d’une série d’attaques qui le mèneront à la mort en 1948, faisant de lui l’un des rares recordman de vitesse à décéder d’une cause naturelle.

Fin de la décennie : John Cobb et George Eyston

Deux autres britanniques vont prendre le relais de leurs illustres compatriotes Campbell et Segrave, il s’agit de George E.T. Eyston et John Cobb. Le premier, au volant de Thunderbolt, parviendra après plusieurs tentatives à dépasser les 500 km/h, en 1937. Le second, avec son bolide conçu par Reid Railton et qui porte le nom de Railton Spécial atteindra les 350 mph en 1938, frôlant les 600 km/h, en 1939. Seule la guerre l’empêchera de dépasser cette limite. Son objectif sera toutefois atteint avec le même engin, en 1947.

Eyston et Thunderbolt :

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Cobb et la Railton Special :

Quant à Donald Campbell, le fils de Malcolm, il marchera sur les pas de son père au début des années 60 avec une machine baptisée BlueBird CN7 mais ne parviendra jamais à battre un record. Il se concentrera sur les tentatives de records sur l’eau, à bord d’engin baptisé Blue Bird dans la plus pure tradition familiale. Il trouvera la mort sur le lac de Coniston Water en 1967. Son corps ne sera retrouvé que 34 ans plus tard, en 2001.

Bluebird CN7
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N’hésitez pas à aller visiter la page du BlueBird Supporters Club !

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