Sans nul doute, l’édition 2018 du Mans Classic fut un succès. La fréquentation, toujours en hausse, ainsi que la forte participation des clubs en sont les preuves évidentes. En ce qui nous concerne, au sein de l’équipe Retromotiv, nous avons vécu trois jours de rêve. Au lieu de vous relater notre périple pas à pas, essayons plutôt de vous faire vivre la course de l’intérieur. Pour cela, rien de mieux qu’une voiture que l’on connaît bien, aux mains d’un pilote coutumier du Mans Classic. Nous avons eu la chance de croiser la route d’Olivier Mazoyer et de sa MGA.

Olivier Mazoyer est tombé dans la marmite de la passion automobile dès son plus jeune âge. Curieux, il observait son père conduire, décryptant ses moindres faits et gestes. Dès que ses pieds ont pu atteindre les pédales, il ne s’est pas fait prier pour s’assoir à la place du conducteur. Chaque fois qu’une occasion se présentait, il jouait les voituriers pour les invités de ses parents, dans leur résidence près de Beaumont en Auge. Adolescent, il a commencé à utiliser la Jeep Willys familiale pour parcourir les chemins de campagne. Il avouera même à son père lui avoir « emprunté » à maintes reprises sa voiture personnelle pour des trajets plus longs, sans jamais se faire prendre. Ses premiers salaires, obtenus grâce à de petits boulots, lui permirent d’acheter une Coccinelle, qu’il possède toujours. Il a vite pris goût au plaisir de conduire les voitures anciennes, boudant l’ambiance aseptisée des productions modernes. Devenu acteur et producteur de cinéma, Olivier se déplace en Porsche 911, un modèle au moteur refroidi par air, qu’il laisse parfois au garage au profit d’une Rolls-Royce Corniche. Il choisit ses voitures au coup de cœur. Homme d’images, il se fait un devoir de les maintenir dans un état de présentation impeccable.

C’est d’ailleurs son allure qui frappe en premier, lorsque l’on découvre la MGA garée dans son paddock en ce début de Mans Classic. La peinture est rutilante, lustrée. Les jantes à rayons ne sont pas chromées, comme on le voit trop souvent, mais peintes du même British Racing Green que la carrosserie. Les pièces de bois encerclant l’habitacle, habituellement recouvertes d’un cuir au coloris identique à celui de la sellerie, ont été vernies. C’est au début des années 80 qu’Olivier Mazoyer fait l’acquisition de sa MGA de 1959, à une époque où sa valeur n’était qu’une fraction de ce qu’elle est aujourd’hui. Les courbes caractéristiques des ailes arrières l’ont littéralement fait craquer. La voiture est dans un bel état mais notre homme est méticuleux, exigeant, quand il s’agit d’esthétisme. Et puis, il souhaite rendre hommage au passé sportif du modèle. Il entame une reconstruction complète, assortie de quelques transformations, dans l’esprit des MGA de compétition des années 50 et 60. Il sort le cahier à dessin et commence à esquisser ce qui va devenir sa MG, tirant son inspiration dans les modèles EX-185 qui coururent au Mans, notamment. Mais pas seulement : il prend ce qu’il y a de meilleur dans toutes les versions de série, les prototypes et les modèles de courses. Il confie ses idées à un carrossier qui va former les tôles à la main pour intégrer le spoiler avant à la calandre, déplacer les feux arrières et apposer des saute-vents en lieu et place du pare-brise. Le moteur, quant à lui, va être affûté pour lui faire gagner une quantité considérable de chevaux, en utilisant des pièces et des solutions éprouvées par les mécaniciens de la grande époque de BMC. Pour s’aider dans cette préparation, il nous explique qu’il a fait des recherches et amassé une grande quantité de documentation. Il confie à Eric Perou, un préparateur que l’on ne présente plus, le soin d’assembler les divers éléments. Une fois sa MG terminée dans les grandes lignes, il songe à participer à des courses historiques. On lui parle alors de la Coupe des Alpes. Nous sommes en 1986. C’est le début d’une longue série qui va mener Olivier Mazoyer vers les compétitions organisées par Patrick Peter. Lorsque ce dernier met en place le premier Mans Classic en 2002, Olivier et sa MGA sont présents. Ils ne manqueront aucune des futures éditions.
Circuit de la Sarthe, 5 juillet 2018, Olivier est là, près de sa voiture qu’il ne quitte que lorsque la logistique, l’organisation ou le repos le lui obligent. Il tient à être impliqué dans toutes les opérations de maintenance effectuées par Jérome, son mécanicien attitré chez WG. Son roadster, Olivier Mazoyer le connaît sur le bout des doigts.

Les essais qualificatifs n’ont lieu que le vendredi à 16h. On ne peut s’empêcher de s’interroger. Comment va se comporter la petite MG face à ses concurrents ? Au sein du plateau, on compte des Ferrari 250 GT Berlinetta, des Lister Knobbly et Costin, la célèbre Ferrari Breadvan, une Maserati Birdcage, l’Aston Martin DP212… Clairement, pour la MGA, ces dernières seront inatteignables sur ce tracé rapide mais le principe des 24 heures du Mans est tel qu’il y a des voitures de cylindrée et de puissance moindres, contre lesquelles la belle d’Abingdon pourra tenir la dragée haute : Triumph TR4, Sunbeam Alpine, Austin-Healey Sprite et quelques Porsche 356, entre autres. Reste à supporter le rythme soutenu, imposé par les longues lignes droites du circuit de la Sarthe, sous ce soleil de plomb. La décontraction d’Olivier Mazoyer laisse à penser que ces questions ne le taraudent pas et les faits semblent lui donner raison.

A l’issue de la séance de qualifications, il se place en 34ème position, sur 79 voitures engagées, marquant son meilleur temps dès le 2ème tour (5’51) et atteignant la vitesse de 203 km/h dès son 3ème passage. Le temps d’un arrêt au stand, il confirme à Jérôme, son mécanicien, que tout se passe bien, que les sensations sont bonnes. A l’issue des 50 minutes de la séance, la MGA rentre au paddock pour un contrôle général en vue de la session suivante qui se déroulera de nuit. A cette occasion, il a d’ailleurs prévu de ne pas trop pousser son roadster. Ces essais nocturnes n’ont pour seul but que de familiariser les pilotes à la conduite de nuit. Les chronos ne seront pas comptabilisés et n’auront pas d’influence sur la grille de départ au moment où débutera la première course. Positionnés en sortie des Esses de la Forêt, nous attendons patiemment de voir passer les machines vrombissantes, rendues difficilement identifiables à cause de l’aveuglement que provoquent leurs feux. Cependant, il nous est assez aisé de reconnaître la MGA : le gros phare additionnel qui trouve sa place dans la calandre perce la nuit et illumine la piste d’une lueur blafarde, tel un cyclope.


La compétition commence véritablement le samedi 7 juillet, comme l’explique le speaker enthousiaste dont la voix, rendue nasillarde par les haut-parleurs, résonne tout le long du circuit. Les 6 plateaux vont se succéder pour achever 3 courses de 45 minutes chacune. La première session d’Olivier Mazoyer débute à 19h par un départ type Le Mans, comme à l’époque. Les voitures sont placées en épi le long de la ligne droite des stands. A 18h18, les pilotes, debout de l’autre côté de la piste, attendent le signal pour s’élancer, sauter au volant de leur bolide et ainsi prendre le départ. A quelques secondes de cet instant fatidique, les pensées se bousculent dans la tête de notre pilote. Il songe aux risques qu’il prend à rouler « flat out » dans une voiture conçue il y’a près de 60 ans, mais il sait aussi qu’il va y prendre beaucoup de plaisir. Lorsque le drapeau vert est brandi, Olivier parcourt la dizaine de mètres qui le sépare de sa MGA et bondit à bord. Moteur, Action ! La MG démarre à la première sollicitation et s’envole à l’assaut du Mans. La course se passe bien. A mi-parcours, une fenêtre horaire s’ouvre pour permettre un changement de pilote pour certains ou un arrêt imposé pour ceux qui conduisent seul, comme c’est le cas pour notre gentleman driver. A cette occasion, il exprime sa satisfaction à son mécanicien, venu s’enquérir de ses impressions. Tout est parfait, la voiture se comporte à merveille. Olivier remonte doucement quelques places au classement, terminant 28ème à l’issu de ce premier épisode. Son meilleur tour a été parcouru en 5’49, 2 secondes de mieux qu’aux qualifications, à la moyenne de 140 km/h, s’autorisant une pointe à 206 km/h lors de son 7ème passage.


De retour au stand, la concentration ne faiblit pas. Jérome passe en revue les points critiques de la voiture, suivant une checklist précise et personnalisée. Rien à signaler, tout est en place. Olivier est là, se laissant rassurer par la routine des contrôles techniques usuels.

A ce stade de la compétition, il nous confie son immense plaisir de conduire cette voiture qu’il a imaginée et fait réaliser selon ses souhaits. Il attire notre œil, déjà bien habitué aux lignes de la MGA, sur la pureté des courbes et la manière dont il a voulu les mettre en valeur. Nous comprenons à ce moment que, pour rien au monde, il ne voudrait rouler à bord d’une autre voiture. Rien ne l’empêcherait d’en acquérir une plus puissante ou plus prestigieuse, mais non : c’est celle-ci qu’il aime et c’est à bord de celle-ci qu’il veut courir, vivre l’espace d’un instant, la vie d’un gentleman driver des années 60. D’ailleurs, point d’arceau ou de ceintures à bord de la MGA. Le règlement ne l’y oblige pas. Les pilotes de l’époque n’utilisaient pas ces organes de sécurité. Il a probablement conscience qu’il court un risque, mais il s’appuie sur les thèses d’antan, énonçant qu’il serait préférable d’être éjecté plutôt que de rester coincé sous l’auto, en cas d’accident. Il a confiance en sa voiture et en sa tenue de route. Jusque là, il a eu raison.

02h58, la lune ne présente que son dernier quartier, en cette nuit du 7 au 8 juillet et l’obscurité est profonde. Les puissants projecteurs déposent sur la piste des halos de lumière. C’est le début de la 2ème course pour la MGA et son pilote, tenu en éveil par l’excitation du moment. Nous restons dans les stands, animés par l’envie de ressentir cette ambiance nocturne si particulière où les sons et les images sont déformées par le prisme de la nuit. C’est l’occasion de nous mêler au travail des mécaniciens de l’équipe d’assistance. La bonne humeur règne au sein de la team WG et les excellents résultats des voitures, dont ils sont les gardiens de la bonne santé, leur donnent du cœur à l’ouvrage. Bref arrêt au stand, pour Olivier Mazoyer, qui confirme, une fois de plus, que tout est en ordre. A la fin de cette session de nuit, il a toutefois concédé une place au classement à la faveur d’une Tojeiro Climax. Il inscrit son meilleur temps en 5’56 à la vitesse moyenne de 137,6 km/h.
Il est temps pour nous d’aller grappiller quelques heures de sommeil avant l’ultime course que nous suivrons depuis le virage d’Indianapolis à partir de 10h30.

La nuit a été trop courte pour moi et je n’ai pas les yeux en face des trous. Quant à Julie, la photographe de l’équipe, elle a bien l’oeil vissé à l’objectif, malgré la fatigue accumulée depuis jeudi et les kilomètres de marche que nous avons parcourus durant ce Mans Classic 2018. Nous attendons, fébrilement, de voir passer la MGA et ses concurrentes. Cette session sera pleine de rebondissements et, malheureusement, d’événements tragiques. Après avoir assisté à l’incendie d’une Lotus XI dans le plateau précédent, nous sommes témoin de l’effroyable sortie de route d’une Corvette C1 qui tire tout droit dans le bas d’Indianapolis, finissant sa course, fracassée, dans les pneus qui bordent la piste. Par chance, ces deux pilotes s’en sortent indemnes.

La MGA, quant à elle, entre dans ce célèbre virage en dérive.
Il m’est arrivé de freiner un peu tard, cette MGA a un comportement très sain, je la maîtrise totalement et même lorsque je me trouve en difficulté j’arrive toujours à compenser.
Olivier Mazoyer – 2018

Lunettes et casque vintage, Olivier roule avec style. On se surprend à l’imaginer dans un film.
Les voitures de collection et le cinéma sont mes deux passions. Il y a longtemps que je cherche un projet pour les lier. Dans mon prochain film, dont je viens de terminer l’écriture, il y aura des voitures anciennes.
Olivier Mazoyer – 2018

Dans cette ultime course, notre pilote signe un nouveau chrono record en 5’48, pour une vitesse moyenne de 143 km/h avec une pointe à 211 km/h dès le premier passage. Olivier parvient à conquérir quelques places supplémentaires au classement. Malheureusement, dans l’avant dernier tour, un problème d’embrayage survient soudainement. Il termine la course mais cède les places qu’il avait durement acquises durant cette séance.
J’étais justement au bout de la ligne droite des Hunaudières, lorsque je passe au point mort pour lancer le double débrayage avant de rétrograder, la troisième ne rentre pas. Je réessaie plusieurs fois, j’ai fini par la rentrer de force et, là encore, je suis passé limite dans cette courbe que je connais bien et que j’aime tant. Je n’ai pas voulu abandonner, j’ai préféré perdre des places et passer les vitesses sans embrayage en montant dans les tours.
Olivier Mazoyer – 2108
Il termine 29ème. Une Jeep le prendra en remorque une fois la ligne d’arrivée franchie pour le ramener au paddock. Lorsque le classement définitif tombe enfin, Olivier Mazoyer est 23ème au scratch et 6ème à l’indice de performance. Nous lui demandons comment il entrevoit son futur dans la compétition historique et s’il envisage de partager le volant, il répond :
Courir m’apporte de plus en plus de joie et de plaisir, je n’ai pas l’intention de m’arrêter, bien au contraire. Il m’arrive de partager le volant sur certaines courses. Lors des deux premiers Mans Classic, en 2002 et en 2004, j’ai partagé mon volant et j’ai éprouvé une certaine frustration, j’avais le sentiment de ne pas rouler suffisamment. Depuis que je fais Le Mans seul, je suis comblé, même si j’aimerais rouler toujours plus.
Olivier Mazoyer – 2018
Epuisés, mais comblés, il est temps pour nous de faire nos au revoir et de rentrer chez nous, non sans un pincement au cœur face à ce temps qui passe trop vite. Nous avons probablement vécu ici notre meilleure édition du Mans Classic. Suivre Olivier Mazoyer et sa MGA restera dans nos mémoires. Il s’est avéré être un acteur essentiel, tant dans son partage et sa proximité, que dans l’expression de cette passion qui l’anime. Nous tenons à le remercier, une fois encore, pour sa simplicité et son accueil chaleureux. Notre pilote est, quant à lui, reconnaissant envers l’organisateur.
On ne remerciera jamais assez Patrick Peter d’avoir réussi le pari fou de rouvrir le grand circuit du Mans, «l’authentique», ce qui nous permet de réaliser ce rêve de grands enfants que nous sommes : rouler sur ce circuit mythique.
Olivier Mazoyer – 2018
