Depuis toujours notre langage et nos conversations sont émaillés d’expressions françaises et populaires. Combien sommes-nous à utiliser celle-ci, sans en connaître sa véritable origine? Et pourtant, derrière cette fameuse « Simone », se cache une pointure du milieu automobile, une femme de sang froid à la vie riche en dépassement de soi.
Bienvenue à bord de Retromotiv pour un nouveau voyage dans le temps.
Nous sommes en 1910. Alors que l’ingénieur français Henri Favre réussit pour la première fois à faire voler « Canard », son hydravion sur l’étang de Berre, Barney Oldfield atteint, de son côté, les 210 km/h au volant de sa Blitzen-Benz, record absolu pour l’époque.


C’est en cette année parsemée d’exploits que Simone Louise de Pinet de Borde des Forest voit le jour à Royan, en Charente-Maritime, le 7 mars. Fille d’Edmond Pinet de Borde de Forest, capitaine de cavalerie et de Marie Suzanne Elisabeth Langevin, elle grandit au sein d’une famille aisée au château de Fontorte dans l’Allier.
Cette future mordue de la vitesse tient son premier volant à l’âge de 12 ans lors d’une escapade dans l’auto de son oncle. A 19 ans, elle suit les traces de la Duchesse d’Uzès, qui, avec Camille du Gast est l’une des pionnières de l’automobile au féminin de la fin du XIXème siècle. L’histoire octroierait à la duchesse le passage du « premier certificat de capacité féminin », ancêtre du permis de conduire.
La Duchesse d’Uzès.
Simone Louise de Forest, ayant décroché le sésame, concrétise, un an plus tard, son rêve de vitesse.

En effet, l’année suivante, elle se lance dans la course automobile. Elle goûte ainsi aux quelques sensations enivrantes et à l’excitation qui vous parcourent lorsque vous tenez un volant entre vos mains et que votre moteur rugit, faisant frémir votre corps, esclave de l’adrénaline.
Sa première compétition, la course de côte de la Baraque*, se déroule près de Clermont-Ferrand. S’ensuit le rallye automobile de Paris-Vichy**, en 1931.
A cette époque, la femme au volant est une rareté. Il est encore moins dans les moeurs qu’elle soit pilote automobile. Par conséquent, beaucoup de familles de femmes pilotes sont réticentes à les laisser courir. Pour sa part, Simone Louise de Forest a l’entière approbation de sa mère qui, fait insolite pour l’époque, prend place à ses côtés en tant que copilote sur cette course. Elle sera aussi sa navigatrice pour les 960km du rallye de Paris-Antibes-Juans-les-Pins, la même année, sur la Rosengart paternelle.
Notez, sur la photo ci-dessous, la « plaque de rallye » imposante qui obstrue une bonne partie de la calandre.
*Jean Auchatraire (1906-2002) sera pour l’éternité, le détenteur du record de cette course, dans sa catégorie.

**Nous ne possédons, hélas, que très peu d’informations sur cette course. Il semblerait, toutefois, qu’elle se réfère à une étape du Paris-St Raphaël de l’époque.
Un couple d’années passe avant qu’on ne retrouve Simone de Forest sur la scène du sport automobile. Elle choisit l’année 1934 pour remettre les gants.
Premiers tours de roue sur le rallye de Monte-Carlo:
Simone est remarquée par Charles de Cortanze*, qui la propulse sur le rallye de Monte-Carlo**, après avoir suivi ses performances dans une série de courses des dames qu’il organisait à Monthléry.
La jeune pilote se trouve une partenaire en la personne de Fernande Hustinx.***

Dans les années 30, le rallye de Monte-Carlo est une course pour laquelle chaque équipe inscrite part de la ville où elle s’est engagée. Elle doit, ensuite, suivre un parcours de regroupement, reliant sa ville de départ à Monte-Carlo. L’itinéraire à suivre est très précis mais comporte quelques fastidiosités. A l’époque, traverser l’Europe en plein hiver est une performance.

Pour la 13ème édition, Simone Louise de Forest et Fernande Hustinx, prennent le départ à Bucarest, dans leur Peugeot 301.

Nous sommes début janvier 1934 et la température extérieure frôle le négatif. Elles parcourent les 3772 km qui les relient à la ligne d’arrivée entre tempêtes de neige et vents glacés. Le froid intense éprouve les compétiteurs.
Quelques rencontres insolites parsèment la route, comme celle des demoiselles avec un paysan montreur d’ours, en Roumanie.
Simone relate son aventure dans un carnet de voyage illustré par ses propres dessins.
Parfois, le brouillard glacé nous oblige à rouler le pare-brise ouvert, seules, perdues dans d’immenses plaines enveloppées d’ouate glaciale. Il faut, parfois, atteler des chevaux pour tirer la voiture échouée dans une profonde congère.
Arrivés à destination, les vainqueurs sont l’équipage ayant réussi à rallier Monaco en respectant une moyenne horaire imposée par les organisateurs. La présentation du véhicule, après autant de kilomètres sur des routes difficilement praticables, est tout aussi importante pour le résultat.
Les deux femmes remportent la coupe des dames, consacrée aux femmes arrivées en tête. Elles sont 17 ème au classement général.
L’année suivante, elle remporte une deuxième fois ce rallye, en équipe avec Odette Siko****. Elles remportent la deuxième catégorie, au volant d’une Triumph.

*Pilote automobile, vainqueur des 24h du Mans en 1938
**Ce même rallye pour lequel, en 1927, Mrs Mildred Victor Bruce avait terminé 6ème.
***Pilote féminin avec un important palmarès, future Mme Charles de Cortanze.
****Pilote automobile française, essentiellement en courses d’endurance et de circuit. Elle a débuté en compétition épisodiquement à la fin des années 20. Elle est la femme la mieux classée à ce jour aux 24h du Mans après avoir terminé quatrième lors de l’édition 1932 (et vainqueur de la catégorie 2 L)
Pilote talentueuse et reconnue, membre de l’équipe Yacco:
En 1937, l’une des activités les plus marquantes de Simone est son implication dans les tentatives de records de vitesse. Sur le circuit de Montlhéry, la société des huiles Yacco rassemble une équipe féminine, composée de Claire Descollas, Hellé Nice, Odette Siko et Simone Des Forest. A elles quatre, elles battent 25 records du monde (10 en endurance et 15 en Groupe C international), dans une ambiance pas toujours facile, gangrénée par des frictions entre certaines des membres de l’équipe et Hellé Nice. Simone et Claire n’étaient pas toujours d’accord avec leur célèbre collègue. Odette Siko, devenue capitaine de cette équipe après que Claire Descollas ait jeté l’éponge, s’efforce de maintenir les esprits au calme. Elles parcourent plus de 30 000 km à la vitesse moyenne de 140 km/h dans une Mathis « Matford » (ainsi appelée car propulsée par un moteur Ford V8 de 3600cc) surnommée « Claire ». Plusieurs de ces records sont encore effectifs de nos jours.
(En bas à droite, Hellé Nice)
Les années sombres et l’après-guerre:
Ses activités entre 1937 et le début de la seconde guerre mondiale sont peu documentées. En 1940, elle travaille comme conductrice de camion pour la Croix-Rouge. Par la suite, elle participe au championnat de France des routiers et remporte la 10ème place, bousculant ainsi les esprits et les préjugés qui perdurent encore de nos jours…
Elle reprend le sport automobile, après la fin de la guerre. En 1953, elle effectue sa première course des Mille Miglia, à l’âge de 43 ans, aux côtés d’Annie Bousquet. Les deux femmes conduisaient une Renault 4CV et finissent 282ème au classement.

La même année, elle s’associe à Elyane Imbert, au volant d’une Porsche 356 Super 1500 pour le rallye de Monte-Carlo. La voiture porte le numéro 108. Elles s’engagent aux 24h de Spa ainsi qu’aux 1000km du Nurburgring pendant l’été, mais sont disqualifiées des deux courses.
Simone participe à de nombreuses courses et rallyes jusqu’en 1957 sans le moindre accident à son actif, allant à l’encontre de la misogynie ambiante, sévissant à cette époque.
Elle se retire du sport automobile en 1957, se concentrant sur sa propre auto-école, fondée en 1950. Elle y enseignera pendant 25 ans. Admirée par les plus grands (dont Fangio lui-même) pour son courage et sa dextérité, elle se prend de passion pour l’aviation civile et obtient son brevet de pilote. Ses activités aériennes sont la raison de ses absences occasionnelles sur les circuits, avant et après la seconde guerre mondiale.
En 1973, elle épouse Ernest Bernard, à l’âge de 63 ans, et décède, à Vichy, le 15 novembre 2004 , alors de âgée de 94 ans. Elle n’aura pas eu d’enfant.
Simone de Forest a été l’invitée de la collection radiophonique » Les Chemins d’une vie », produite par Christian Lassalas pour FR3 Auvergne Radio.
Quant à la fameuse expression : « En voiture Simone… » dont on ne sait précisément l’inventeur, la phrase complète est : « En voiture Simone, c’est moi qui conduis, c’est toi qui klaxonne ! ». Elle a été popularisée par Guy Lux, s’adressant à Simone Garnier, lors des jeux d’Intervilles.