Quand Tom Walkinshaw remporte l’European Touring Car Championship (ETCC) en 1984, le monde commence à regarder les XJ-S d’un oeil différent. Le vilain canard de chez Jaguar, qui n’avait pas conquis le coeur des aficionados de la Type E, apparait sous un jour nouveau : la GT bourgeoise peut aussi devenir un monstre de puissance. Rapidement, quelques uns vont vouloir exploiter le filon.
TWR et la XJR-S

A commencer par TWR (Tom Walkinshaw Racing) qui, en toute logique, suite à ses podiums en championnat, propose un kit sportif pour la XJ-S dès janvier 1984. Au programme, quelques accessoires stylistiques, un volant à 4 branches, des pare-chocs plastiques enveloppants, un spoiler arrière, des roues fabriquées par l’italien Speedline, le retrait d’une partie des chromes et un kit de suspensions plus raides au service d’une direction moins démultipliée. Le client, qui amène son coupé ou son targa XJ-S dans les ateliers TWR de Kidlington, se voit proposer, moyennant un gros chèque, le « Energy Efficient Kit » : une amélioration de l’admission et de l’échappement du moteur 5,3 litres ou, mieux, une augmentation de la course, par remplacement de l’équipage mobile du moteur, portant ainsi la cylindrée à 6 litres, accompagnée d’une toute nouvelle gestion moteur conçue par Zytek. Le kit propose, en outre, l’installation d’une boîte manuelle ou d’un « mode sport » permanent sur la boîte automatique. Les freins sont améliorés par l’ajout d’étriers AP Racing et de disques ventilés à l’arrière.

A partir de 1988, le partenariat officiel entre TWR et Jaguar permet d’offrir une belle campagne de publicité ainsi qu’un suivi de l’entretien par le réseau Jaguar. La désormais nommée XJR-S propose à ses clients 318ch et un couple de 50mkg, soit 30ch et 10mkg de plus qu’une XJ-S V12 normale en 1989. Cependant, l’offre s’appauvrit un peu puisque la boîte manuelle n’est plus proposée.

TWR propose donc, en cette fin de décennie, une préparation raisonnable. Le client repart avec une auto subtilement améliorée. On sent que la compétition a inspiré quelques unes de ses innovations, mais elles ne sont pas mises en pratique complètement.
En 1986, un préparateur/constructeur iconique en Grande-Bretagne s’apprête à renaître de ses cendres : Lister.

Le retour de Lister

Laurence Pearce, dont le père, Warren Pearce, était pilote et ami de Brian Lister, est un jeune entrepreneur qui vient de récupérer les rennes de la société paternelle (WP Automotive) et qui souhaite profiter de cette période des années 80 où les préparateurs privés ont le vent en poupe. Les grandes enseignes telles que AMG, Brabus ou RUF n’ont pas encore supplanté toutes les autres et les petits ateliers de préparation comme Koenig ou Chasseur peuvent encore vivre de leur travail. Pearce obtient auprès de Brian Lister, fondateur de la marque, le droit d’utiliser le nom et fonde ainsi Lister Cars. A peine 2 ans après le titre décroché par Tom Walkinshaw en ETCC, et moins d’un an après la victoire très médiatisée lors des 1000km de Bathurst, Pearce croit en la possibilité de vendre des XJ-S survitaminées. Mais il doit faire mieux que la XJR-S s’il veut vendre. Pourtant, les recettes qu’il va utiliser sont, en grande partie, issues du programme compétition de TWR.
Pearce délocalise la marque et l’installe, non pas à Cambridge, son siège historique, mais à Leatherhead au sud de Londres. Il embauche une équipe d’ingénieurs et propose aux propriétaires de XJ-S une préparation à la carte, la seule limite étant la capacité de financement de ses clients.
Lister XJ-S (tarifs pour 1988, les prestations vont s’étoffer, ainsi que les tarifs, dans les années suivantes)


Au niveau carrosserie, deux options figurent au catalogue en 1988. La première, baptisée « Bodywork System 1 » comprend un ensemble pare-choc avant et pare-choc arrière, avec les bas de caisse assortis. L’option inclut, bien évidemment, une peinture de la teinte choisie, sur la moitié inférieure de la voiture, afin d’intégrer l’ensemble. Le tarif : 2850£ de l’époque.
La 2ème option, « Bodywork System 2″ , est nettement plus impressionnante. Elle comprend un élargissement des ailes arrières par rajout d’extensions soudées par points. La voiture, ainsi élargie de 10cm peut recevoir des roues de 10″ x 16 » équipées de pneus de 245/45/VR16. La carrosserie complète est ensuite repeinte d’une couleur au choix. Le tout pour 6900£, auxquels on peut ajouter des doubles optiques pour 595£ et des rétroviseurs s’intégrant parfaitement dans le style, pour 600£.

Continuons dans le « cosmétique » avec l’intérieur, pour lequel Lister propose des sièges semi-baquets Recaro, habillés de cuir Conolly à passe-poils contrastants … pour 2350£. Si le client désire assortir l’intérieur avec les sièges et s’il désire des marquages Lister sur les contreportes et les dossiers des sièges, il lui sera demandé 3100£ de plus. Bien évidemment, la moquette est incluse, avec des ourlets de cuir tout autour. Quand on en est là, le volant 3 branches gainé de cuir à 154£ n’est qu’une formalité. Pour 980£, Lister propose de changer toutes les boiseries de la planche de bord, pour remettre exactement les mêmes, en neuf, en y ajoutant aussi le pommeau de levier de vitesses dans la même essence de bois. Jouissant d’un partenariat avec Sony, l’autoradio cassette CD est offert pour 1200£, sans préciser si les haut-parleurs sont inclus.


Les roues sont spécifiques, siglées Lister, mais fabriquées par Compomotive. Elles sont proposées aux clients en 16 et 17 pouces, avec des largeurs allant de 8 à 13 pouces. Cette dernière monte (13″ x 17″) est la même que les Ferrari F40.
Passons désormais aux choses sérieuses. Lister se présente avant tout comme un véritable préparateur et va le prouver. Les améliorations techniques proposées sont à peu près les mêmes que celles des XJ-S préparées par TWR pour le championnat ETCC. Ce que Tom Walkinshaw n’avait pas osé installer sur les XJR-S, Laurence Pearce et son staff le font sans sourciller.
La suspension est fortement modifiée. Les différents silent-blocs sont remplacés par des modèles d’un matériau plus dur (du polyuréthane ?) afin de rigidifier le comportement de la voiture. Les bras longitudinaux sont renforcés. Des amortisseurs plus fermes, accompagnés de barres anti roulis de fort diamètre, finissent d’anéantir le comportement naturellement flottant de la XJ-S d’origine, contre la modique somme de 2200£.

En ce qui concerne les freins, Lister s’est penché sérieusement sur la question. Une XJ-S sortie d’usine pèse déjà près de 1750kg et elle atteint les 1800kg une fois les ailes élargies et les différentes options de customisation de l’intérieur choisies. Lister propose deux options : une sage et une brutale. L’option sage, baptisée « System A », pour 240£, propose des plaquettes compétition et un liquide de frein résistant aux hautes températures ainsi que des durites type « aviation ». Cette option est recommandée pour les clients qui souhaitent conserver leur moteur d’origine. Le « System B », quant lui, offre toutes les spécificités d’une voiture de compétition. Des disques de freins de 335mm de diamètre, des étriers en aluminium, des durites renforcées, un liquide de frein de compétition et un choix de plaquettes en fonction des besoins du client. Le System B comprend aussi une adaptation des freins arrières pour recevoir des disques ventilés. Cette option complète coute 2600£ et est obligatoire en cas de modification du moteur.


Lister a élaboré 5 préparations moteur pour le catalogue 1988 : 4 pour le V12 et 1 pour l’AJ6.
Pour 380£, un acheteur moins fortuné s’offre une quinzaine de chevaux supplémentaires, obtenus par un remplacement des bougies, l’installation d’un régulateur de pression d’essence réglable et la modification des filtres à air.
S’il est plus à l’aise, il peut dépenser 5000£ et bénéficie, en plus de l’option précédente, d’une refonte complète de la culasse (amélioration du passage des gaz, installation de soupapes d’admission de 44,45mm, usinage de la chambre de combustion, arbre à cames spécifique, des ressorts de soupapes plus durs, …) ainsi que d’un paramétrage de l’injection en conséquence. Son 5,3 HE développera, dès lors, 365ch, contre 295ch d’origine.

Si ces 70ch supplémentaires ne sont toujours pas assez, il peut poser 9825£ sur la table et obtiendra, en échange, un moteur 6 litres équipé de culasses de XJ-S Pré-HE avec des pistons forgés Cosworth. Comme dans la XJR-S, l’augmentation de la cylindrée est obtenue en augmentant la course de 8,5mm. Un traitement complet de la culasse sur laquelle on installe des soupapes d’admission de 44,45mm et des soupapes d’échappement de 36,83mm, avec un arbre à cames spécifique et des ressorts plus durs… Les collecteurs d’admission se voient équipés de deux boîtiers papillon au lieu d’un. L’allumage et l’injection sont modifiés. La puissance moteur passe désormais à 465ch pour 58,1mkg de couple. Ça commence à devenir méchant.

Mais Lister propose encore mieux : le V12 7 litres. La modification coute 13750£ en 1988. Le moteur est réalésé à 94mm pour une course de 84mm. Les vilebrequins sont usinés sur place à partir de billots d’acier. Il entraine des bielles en acier et des pistons forgés Cosworth. La culasse reçoit un traitement en profondeur, comme pour le moteur 6 litres. Cependant, les soupapes installées sont encore plus grandes : 45,72mm pour l’admission et 38,1mm pour l’échappement. Le reste est similaire au moteur 6 litres : arbre à cames spécifique, ressorts plus durs, poussoirs allégés, collecteurs d’admission à double boîtier papillon… Un monstre de 496ch pour 70,5mkg de couple.

Les moteurs 6 et 7 litres nécessitent l’installation d’une ligne d’échappement gros diamètre, augmentant encore la puissance de 40ch selon Lister. Elle coûtera 1135£ de plus.
Les propriétaires de moteur AJ6 3,6 litres peuvent aussi tirer quelques chevaux supplémentaires de leurs 6 cylindres contre la modique somme de 5950£ : le bloc recevra un vilebrequin longue course (102mm) usiné sur place portant la cylindrée à 4 litres. La culasse reçoit à peu près le même traitement que celles du V12 : usinage des passages de gaz, remplacement de l’arbre à cames, installation de ressorts plus durs… La puissance fait un bond de 43ch, passant de 221 à 264ch. Les collecteurs d’échappement proposés (des tubes de 2 pouces) améliorent le couple à mi-régime.
Pour 4750£, Lister installe une boîte de vitesses manuelle à 5 rapports, accouplée au moteur via un embrayage bi-disque AP Racing à commande hydraulique. Les inconditionnels de la boîte automatique GM TH400 d’origine peuvent la conserver. Pour seulement 400£, elle reçoit un module qui induira un passage plus tardif des rapports, l’équivalent d’un « mode sport » permanent. Les préparateurs ont opté pour un rapport de pont de 3,54:1, celui qui équipe les XJ-S 3,6 litres et, plus tard, toutes les XJS de série.
Afin d’éviter la surchauffe à ces monstres de puissance, un radiateur spécial qui permet un refroidissement 40% meilleur, selon Lister, est vendu au prix de 310£.
Dès 1986, toutes les voitures qui reçurent au moins l’option « Bodywork System 2 » chez Lister furent baptisées Lister XJ-S mkIII.
Lister XJ-S Le Mans

A partir de 1989, Lister propose une série limitée à 50 exemplaires : la Lister Le Mans (il s’avèrera par la suite que la série ne se limitera pas à ces 50 modèles et les prestations de ce modèle rentreront au catalogue dès 1990). Toujours sur une base de XJ-S (coupé ou cabriolet), elle reçoit, en plus de l’option « Bodywork System 2 », une modification de carrosserie beaucoup plus importante (baptisée « Lister System 3 » dans le catalogue 1990, tarif : 14850£). L’arrière des coupés reçoit un traitement « fastback ». La vitre, empruntée à la MGB GT, n’est plus verticale mais suit habilement la pente des contreforts aérodynamiques dessinés par Malcolm Sayer. La place libérée permet de reculer la banquette arrière. Le réservoir de 90 litres est remplacé par un modèle de 128 litres ! Les vitres de custode sont rallongées. Les optiques de phare arrières sont rehaussés et le coffre reçoit un aileron opulent. A l’avant, le capot est allongé et plonge sur le pare-choc. Sous ce capot, dont l’ouverture est désormais inversée, on trouve la version 7 litres du V12 Jaguar « made by Lister ».



Le berceau arrière a été modifié, sur le modèle Le Mans. Ses attaches sur la coque de la voiture sont entièrement revues à l’image de ce que TWR avait fait sur sa XJ-S de Groupe A, mais encore plus solides, les contraintes de poids n’ayant que peu d’importance. Un bâti tubulaire triangulaire vient rigidifier le berceau sous la carrosserie. Les freins arrières sont dans les roues, non plus accolés au différentiel, toujours à l’image des XJ-S qui coururent en ETCC. Jaguar reprendra ce principe sur les XJS de production dès 1993.

Un journaliste d’Auto-Hebdo, dont j’ignore le nom, eut la chance d’essayer une XJ40 équipée du V12 7 litres en 1990. Il resta impressionné par le couple inépuisable du moteur. Sa relative quiétude à bas régime n’aurait d’égale que sa rage dans les tours. Il qualifia la sonorité de l’échappement de « wagnérienne, grave et métallique ». Les performances en accélération pure sont équivalentes à celles d’une Ferrari Testarossa et le 80-120 en 5ème met 1 seconde dans la vue à une Porsche Ruf CTR. Cependant, le poids et le châssis n’encouragent pas à la sportivité. On est dans une Jaguar : la force tranquille, le grand tourisme, etc. Ce qu’il faut retenir, selon lui, c’est que l’agrément est permanent et les sensations sont à la demande.
A partir de 1990, le catalogue présente une ultime variante du moteur 7 litres, équipée de 2 turbos, dérivé de la XJR9. La puissance développée dépasse les 600ch. Le prix : 8600£ à ajouter aux 15250£ demandées pour un moteur V12 7 litres atmosphérique (tarif 1990). D’ailleurs, toutes les modifications apportées aux modèles Le Mans sont finalement proposées dès 1990 au catalogue.
Le V12 7 litres atmosphérique trouvera sa place sous le capot de la future sportive 4 places de Lister : la Storm. Ce bolide bodybuildé ne rencontrera malheureusement aucun succès, bien que la version course remportera le championnat FIA GT en 2000.


Environ 90 XJ-S furent transformées entre 1986 et 1991 dans les ateliers de Lister Cars à Leatherhead, ainsi que quelques rares XJC et XJ40.

Je me souviens de la Storm. On pouvait la piloter dans le jeu « Les 24h du Mans » qui se basait sur les autos de 1998 et 1999… Porsche et Mercedes en moins.
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Mais oui ! Excellent ce jeu ! Je l’avais sur Dreamcast.
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