Derrière ce titre quelque peu racoleur se cache en réalité une problèmatique récurrente depuis les années 80 : l’authentification des voitures de course. Cette démarche visant à prouver qu’un bolide a bel et bien participé à telle ou telle course et qu’il a su rester fidèle à sa configuration originale n’est pas aisée et parfois, ne parvient pas à trouver de point final. C’est ce que nous allons voir avec XKD604, une Jaguar Type D qui a soudainement resurgi du passé.
L’année 1955 fut riche en innovation, au sein du Département Experimentation de Jaguar. Les Type D ont montré de belles performances sur les circuits où elles furent engagées, mais face aux redoutables Mercedes 300SLR, elles commencent à atteindre leurs limites. Bien que les félins de Coventry soient supérieurs au freinage grâce à leurs freins à disques, les flèches d’argent de Stuttgart se posent un cran en avance en terme de suspension et de consommation. Equipées de pont arrière à masses non suspendues dont la transmission aux roues passe par des cardans, elles offrent une tenue de route meilleure. Quant au moteur, l’injection directe permet un dosage optimal du carburant, assurant une combustion parfaite et de meilleure reprise, tout en diminuant la consommation, point crucial lors des courses d’endurance.
La Mercedes 300SLR, sérieuse concurrente des Type D durant la saison 1955 du Championnat du Monde des Voitures de Sport
Alors que Mercedes n’a pas encore annoncé son abandon de la compétition pour 1956, Jaguar se doit de réagir. La société Lucas est donc mandatée afin d’étudier un système d’injection pour le vénérable moteur XK, jusqu’alors équipé de trois carburateurs Weber DCO3. Parallèlement, on prépare une toute nouvelle suspension DeDion, pour remplacer le robuste, mais vieillissant, pont Salisbury.
XKD604

Nous sommes désormais en janvier 1956. La première Type D « Long Nose » destinée à courir sous la bannière Jaguar sort des ateliers, incorporant un système d’injection indirect et un pont DeDion. Elle reçoit le numéro de chassis XKD604. Elle est alors soumise à une batterie de test sous la surveillance du chef du Département Essai : Norman Dewis. Elle reçoit l’immatriculation 032RW.
Vient le jour de sa première course, le 5 mai 1956, lors de l’évènement annuel du Daily Express à Silverstone. Au dernier moment, le Département Course de Jaguar considère que la mise au point du système d’injection Lucas n’est pas aboutie et le groupe moto-propulseur est remplacé par une boîte et un moteur « classique », à carburateurs Weber. Confiée à Desmond Titerrington qui avait piloté une Type D lors du Tourist Trophy de 1955, XKD604 partage la ligne de départ avec 2 autres Long Nose équipées du traditionnel pont Salisbury : XKD603 aux mains de Mike Hawthorn et XKD504 pilotée par Jack Fairman. L’Ecurie Ecosse engage, de son côté, quelques Type D alors que 4 AstonMartin DB3S d’usine, pilotées par Moss, Collins, Pagnell et Salvadori, vont se montrer de sérieuses concurrentes. Le reste du plateau est composé de Type D et de DB3S privées, ainsi que des Ferrari 750, des Maserati 300S et autres voitures d’endurance de l’époque (Lister et Tojeiro à moteur Bristol, entre autres).

La veille de la course, le 4 mai, ont lieu les essais libres. A cette occasion, la star du moment, Mike Hawthorn, vainqueur tragique des 24 heures du Mans 1955, prend le volant de XKD604 (qui s’est vue attribuer le numéro 3) afin de tester la nouvelle suspension DeDion. Cette anecdote, en apparence anodine, va pourtant se révéler être le point de départ d’une affaire dont les retentissements se font encore entendre de nos jours. Roy Salvadori observe les essais et constatant que Mike Hawthorn est au volant de la Jaguar n°3, il en conclut à tort que c’est celle qu’il conduira lors de la course du lendemain.

Le 5 mai 1956, les voitures sont positionnées en épi dans la ligne droite des stands en vue du départ type Le Mans. Suite aux qualifications, l’ordre de placement des 4 premières voitures est celui-ci : XKD603 n°2 (Mike Hawthorn), XKD604 n°3 (Desmond Titterington), DB3S n°24 (Roy Salvadori), DB3S n°21 (Stirling Moss). Ron Flockhart (Type D aux couleurs de l’Ecurie Ecosse, n°8) est en 6ème position. Reg Parnell et sa DB3S n°22 ne sont qu’en 8ème position.
Sitôt le départ donné, Moss prend la tête, suivi de près par Salvadori. Derrière lui, Titterington, Flockhart, Collins et Pagnell sont dans sa roue. Dans le virage de Stowe, Salvadori parvient à doubler Moss par l’intérieur, ouvrant par la même occasion la porte aux Type D de Titterington et Flockhart qui s’engouffrent à sa poursuite. Dans le virage suivant, Salvadori sent qu’un poursuivant cherche, à son tour, à le doubler par l’intérieur. D’un bref coup d’oeil, il s’aperçoit que c’est la Jaguar n°3. Pensant qu’il s’agit de Mike Hawthorn, il ne s’écarte pas. Les deux hommes se connaissent bien et jamais Hawthorn ne tenterait de doubler Salvadori de la sorte, sachant pertinemment que ce dernier ne le laisserait pas passer. Mais à son grand étonnement, le pilote de la Jaguar n°3 insiste et tente de forcer le passage. Et pour cause : ce n’est pas Hawthorn au volant, mais Desmond Titterington. S’apercevant enfin qu’il ne pourra pas passer, Titterington saute sur les freins. Derrière lui, Flockhart, Collins et Pagnell ne peuvent ralentir. S’en suit un carambolage impliquant donc 2 Type D (Titterington et Flockhart) et 2 DB3S (Collins et Pagnell). Pour ces 4 pilotes, la course s’arrête avant la fin du premier tour. Roy Salvadori arrivera 1er, suivi de près par Moss. De son côté, Mike Hawthorn continue sa course pendant encore 17 tours avant d’abandonner, à cause de problèmes mécaniques. Titterington range tant bien que mal XKD604 sur le côté. Le train arrière est bien endommagé, ainsi que le capot. La voiture est ramenée dans les locaux du Département Course de Jaguar.


En créant un programme de course automobile, William Lyons cherchait à promouvoir sa marque. Comme le dit l’adage : Qui gagne le dimanche, vend le lundi. Après de multiples victoires, dont celles au Mans en 1951, 1953 et 1955, l’objectif est atteint. Le grand patron a décidé que Le Mans 1956 sera la dernière course de la saison et ne souhaite pas poursuivre la compétition automobile en 1957, laissant les écuries privées investir dans ce secteur, quitte à leur revendre les anciennes Jaguar d’usine pour qu’elles les engagent à sa place. Il préfère concentrer ses effectifs et son budget vers les chaines de production. Avec un parc de Type D d’usine bien fourni, il n’a nullement l’envie ni le besoin de réparer les voitures endommagées. Tout au plus leur réserve t’il le sort de banque de pièces. RTP : Return to Produce. Certaines auront la chance d’être revendue à l’Ecurie Ecosse.

Dans un registre d’époque figurant dans les archives de Norman Dewis, concernant XKD604, on peut lire la mention « scrapped, stripped down on 7 & 8 may 1956 ». Une annotation bien sibylline qui peut avoir plusieurs significations : destinée à la ferraille ? abandonnée ? A priori : mise en pièces les 7 et 8 mai 1956. Mais que sont devenues ces pièces ? C’est bien là tout l’enjeu.
Ce que vous venez de lire sont des faits, étayés par des témoignages d’époque, des interviews, notamment celle de Roy Salvadori dans le magasine MotorSport de Février 2008, et des photos.
La suite du récit, celle qui relate comment la voiture est arrivée jusqu’à nous, est soumise à caution.
Qu’est devenue la carcasse de XKD604 ?
Norman Dewis se souvient avoir vu XKD604, non démontée, chargée sur une remorque et emmenée par Wilkie Wilkinson, le mécanicien de l’Ecurie Ecosse, fin 1956.
Wilkie Wilkinson, à droite sur la première photo et debout sur la deuxième. Sur la photo de droite, de gauche à droite : XKD501, XKD502 et XKD561.
Selon Greg Johnson, le dernier propriétaire connu d’XKD604, la voiture serait restée stockée en l’état dans les locaux de l’Ecurie Ecosse, situé à Merchiston Mews dans la banlieue d’Edimburgh. Lorsque Jim Murray, directeur de l’Ecurie, stoppe ses activités en 1971, XKD604 est toujours là, dans un coin de l’atelier. Un écossais du nom de Jim Tester, réputé à l’époque pour ses préparations de chassis, se serait porté acquéreur du bolide à ce moment. Il aurait entrepris de le restaurer à son état d’origine. Une démarche assez peu commune dans ces temps où les anciennes gloires d’un passé pas si lointain n’avaient que peu de valeur aux yeux des collectionneurs et où elles faisaient les beaux jours d’amateurs de courses dominicales qui n’hésitaient pas à les modifier à outrance. Quelques dix années plus tard, au début des 80’s, il semblerait que le chantier n’ait pas beaucoup avancé, puisque Jim Tester aurait contacté un collectionneur du nom de Michael Fischer afin de lui proposer XKD604 à la vente. Lorsque Fischer arrive chez Tester, il décrit la scène comme si une Type D avait explosé dans le garage : un amas de pièces éparpillées sur le sol.
Toujours selon Greg Johnson, les pièces majeures de l’auto sont déjà présentes : les longerons, le berceau arrière, le bloc moteur ainsi que divers éléments comme la culasse « wide angle », la pompe d’injection (le moteur d’origine semble donc avoir été remis en place), le radiateur et son vase d’expansion, la boîte de vitesse, les freins, la plupart des composants du tableau de bord, les phares, les roues, le pont DeDion, les suspensions et les moyeux, le bouchon de reservoir d’essence…. etc. Les éléments de carrosserie arrière, le capot ainsi que la cellule centrale sont absents.
Fischer se porte donc acquéreur de la Type D et charge Tester de finir son travail de restauration. Plus tard, au milieu des années 80, le chantier en est toujours au même point. Lassé, Fischer récupère les pièces et les confie à Chris Keith-Lucas, gérant de Lynx, un célèbre atelier de préparation/restauration qui fabrique aussi des répliques de très bonne facture, notamment de Type C et D. Malheureusement, Fischer, n’ayant plus les moyens de financer la restauration du châssis 604, doit vendre en 1990. Le projet est alors racheté par Landhurst Leasing, une société financière dont la principale activité est de racheter des voitures de collection à des propriétaires en difficulté et de leur louer ensuite, ou de les louer à d’autres. Le système ne fonctionnera pas, les dirigeants de Landhurst Leasing finiront par magouiller et se verront juger coupables de fraude à hauteur de plus de 50 millions de livres en 1997.
Revenons en 1992, la reconstruction de la Type D est enfin terminée chez Lynx qui a assemblé les différents éléments et fabriqué une carrosserie neuve, peinte en BRG, comme à la grande époque de Jaguar. En 1993, Landhurst Leasing la revend à un riche américain du nom de Tom Armstrong. XKD604 part vivre aux USA où elle sera finalement revendue à son dernier propriétaire connu, Greg Johnson, en 2004. Et ce n’est qu’à partir de cette date que la voiture commencera à faire vraiment parler d’elle.
Entre 1993 et 2004, elle connait une vie discrète entre les mains d’un propriétaire attentionné. Mais la valeur des automobiles de collection ne cessant d’augmenter à partir des années 2000, Greg Johnson entreprend de la faire authentifier, aidé pour cela des nouveaux moyens de communication comme internet. Il se heurte à deux écueils majeurs : l’impossibilité d’obtenir un certificat d’authenticité de la part de Jaguar et l’incapacité d’attester, ou de justifier, d’un historique continu depuis la sortie d’usine de XKD604.
Authentification Impossible
L’organisme en charge de délivrer les certificats d’authenticité est le Jaguar Daimler Heritage Trust (JDHT). La procédure est simple : il suffit d’envoyer les données connues sur la voiture (numéro de chassis au minimum, et plus si possible) et les officiels du JDHT comparent ces données avec leurs registres. Seulement voilà, en ce qui concerne XKD604, il a été mentionné « scrapped » sur les registres. Officiellement, cette voiture n’existe plus. Le seul document qu’ils sont donc à même de fournir est un certificat attestant qu’une Type D portant le numéro de chassis XKD604 a bien été construite en 1956, ainsi que les différents numéros de série du moteur, de la boîte, etc… mais qu’elle a cessé d’exister suite à un accident survenu à Silverstone en mai 1956. Au cours de ces recherches, il a été mis en lumière que la boîte de vitesse ne correspond pas. Elle devrait porter le numéro de série GBD184 alors que celle actuellement dans la Type D porte le numéro GBD182. Ce n’est pas si étrange sachant que ces voitures d’usine ont été maintes fois démontées et remontées, notamment après chaque course par le Département Technique de Jaguar. Un échange de boîte de vitesse avec une autre Type D survenu à l’époque n’est pas quelque chose d’impossible, mais ceci ajoute un peu à la confusion et, dans tous les cas, n’aide pas à l’authentification.
Autre point qui empêche toute tentative d’authentification : l’absence d’un « historique continu ». Afin d’attester de l’origine d’une voiture, les experts donnent une importance capitale au fait de connaitre l’état et la localisation précise de l’auto depuis sa sortie d’usine, ainsi que les différentes modifications qu’elle aurait pu connaitre. Hors, dans le cas d’XKD604, il existe de larges zones d’ombre. Les registres de l’usine Jaguar établissent un historique pour la seule année 1956. Ensuite, seul Norman Dewis a témoigné avoir vu la voiture chargée sur la remorque de l’Ecurie Ecosse par Wilkie Wilkinson, sans même pouvoir affirmer que sa destination fut bien les ateliers de Merchiston Mews. Mais était-ce bien elle ? Aucun document de l’Ecurie Ecosse ne fait mention de 604. Des témoins de l’époque ne se souviennent même pas de l’y avoir vu.
On nous dit ensuite que les pièces de XKD604 se sont retrouvées chez Jim Tester. Bien que reconnu comme étant un excellent préparateur de chassis, Jim Tester a aussi été impliqué dans d’autres « re- découvertes » de bolides de course disparus. Sans que sa bonne foi ne soit réellement mise en cause, cette faculté à faire resurgir du passé des trésors oubliés n’aide pas Greg Johnson dans sa quête. De plus, il existe de sérieuses rumeurs concernant Jim Tester : il aurait la fâcheuse habitude de remplacer certaines pièces mécaniques sur les voitures qu’on lui confie, afin de se créer une banque de pièces dans le but de fabriquer par la suite des répliques plus vraies que nature…
Méthodiquement, Johnson a établi un dossier complet afin de faire reconnaitre l’authenticité de sa Type D et, au début, il n’a rencontré que peu de resistance, tout au plus quelques murmures dubitatifs. Il s’est appuyé sur l’avis de Chris Keith-Lucas, de chez Lynx, pour qui la Type D qu’il a restaurée, portant la frappe XKD604 sur le châssis, lui semble authentique. Mais on peut se demander s’il n’y a pas conflit d’intérêts, CKL étant le gérant de la société payée pour reconstruire la voiture. Johnson a aussi mandaté une expertise métallurgique. Il a pris divers échantillons de la structure de XKD604, ainsi que du berceau arrière, et les a fait comparer à d’autres, pris sur une Type D reconnue et authentifiée. L’analyse permet de connaitre avec précision la composition du métal, l’époque de fabrication et peut même determiner si ces différents échantillons proviennent de la même fonderie. Sans connaitre l’origine des pièces de métal qu’ils analysaient, les laborantins qui ont rendu leur rapport sont formels : les échantillons sont identiques, ont le même âge et proviennent de la même fonderie. Indubitablement, les éléments structurels de XKD604 sont d’époque mais ils pourraient très bien venir de n’importe quelle Type D. Johnson ne désarme pas et publie partout où il le peut sa version de l’historique de XKD604. Un grand nombre de forums anglophones et de sites spécialisés se voit créer un topic sur cette voiture, donnant lieu à de houleux débats. Greg Johnson en personne vient souvent y défendre sa version des faits.
Les spécialistes vont commencer à faire entendre leur voix plus fort lorsque, fin 2015, Greg Johnson propose XKD604 lors de la vente aux enchères RM Sotheby’s de Phoenix, Arizona. Aussitôt l’annonce faite, les médias s’emparent de l’évènement. Prévue le 28 janvier 2016, la vente doit se dérouler quelques semaines avant celle d’ArtCurial à Retromobile, au cours de laquelle la Ferrari 335S trouvera preneur pour 35 millions d’euros. Les anciens bolides de course ont la cote, c’est peu de le dire. Bien que Sotheby’s se soit gardé de donner toute estimation de la voiture, les médias osent avancer la somme de 5 millions de dollars, soit 1 million de plus que XKD530, une Type D reconnue et authentifiée, lors de l’enchère d’Amelia Island un an plus tôt. Pensant surfer sur cette vague d’investisseurs, Greg Johnson ne s’imaginait pas que le monde de la Jaguar de collection allait procéder à une telle levée de boucliers.
Ainsi, des personnalités telles que Tony Brown (responsable de la section « Replicas » au sein du Jaguar Driver Club, créateur de l’unique réplique fidèle de XKC002, une des Type C low drag qui a couru Le Mans en 1952), Paul Roach (spécialiste/restaurateur Jaguar) ou Terry McGrath (expert Jaguar australien qui a co-écrit « The Jaguar XK in Australia » et « The forerunners of Jaguar in Australia » ) pour ne citer qu’eux, montent au créneau et démontent un à un les arguments de Greg Johnson, se basant sur leurs connaissances de l’Histoire de la marque. Pour eux, XKD604 telle qu’elle nous est présentée n’est qu’un ensemble de pièces d’origine de provenances diverses. Certes, il est possible que quelques unes proviennent réellement de la vraie XKD604, mais pour la majorité d’entre elles, rien n’est prouvé. Quant aux souvenirs de Norman Dewis, bien que l’homme soit excessivement respectable et respecté, et que son parcours chez Jaguar ne mérite que des louanges, ils proviennent d’un homme qui, à près de 90 ans, s’est déjà maintes fois contredit dans ses mémoires.
Greg Johnson se défend. Il se refuse à mettre en doute la parole de Norman Dewis avec qui il a eu de longs entretiens. Il explique que si le JDHT ne peut lui délivrer de certificat d’authenticité, c’est parce que la voiture a été notée comme « abandonnée » sur les registres, mais qu’en aucun cas il n’existe de preuve qu’elle ait été détruite. Il s’appuie sur le livre de Graham Robson, « Jaguar D Type and XKSS » publié en 1983, qui dit effectivement que la voiture a été « désinscrite » des registres, mais précise, en appendice, qu’elle a été reconstruite. Il soutient que la voiture possède un historique connu puisqu’il peut dire exactement où elle était durant toutes ces années, et que les pièces sont restées groupées aux mêmes endroits. Malheureusement, il ne peut en apporter les preuves. Ses détracteurs présentent un livre d’Andrew Whyte, « Jaguar, Sports Racing & Work Competition Cars from 1954 » publié en 1987, où il est dit que XKD603 fut reconstruite avec des pièces de XKD604.
D’autres détails troublants, comme le fait que le numéro de chassis présente 2 frappes distinctes superposées ne peuvent empêcher le doute. Greg Johnson présente des photos du berceau arrière où les traces de réparation pourraient attester qu’il s’agit bien du pont DeDion endommagé lors de l’accident de Silverstone. Il ajoute que les éléments mécaniques tels que le vase d’expansion, les freins, la boite, les radiateurs d’huile et de liquide de refroidissement, les roues… sont celles qui équipaient les voitures préparées par l’usine Jaguar, et non celles vendues aux clients privés. Mais ceci ne justifie pas qu’elles aient été montées sur XKD604 d’origine.
Et par dessus tout, les experts n’en démordent pas, cette voiture n’a pas d’historique continu, ce qui lui confère une origine douteuse. Elle ne serait au mieux qu’une collection de pièces d’époque assemblées sur une coque Lynx. In extremis, elle est retirée de la vente aux enchères RM Sotheby’s et disparait subitement du catalogue. Les experts se félicitent.
4 grands noms de la Jaguar-osphère sont alors appelés pour scruter la voiture. Terry Larson (collectionneur Jaguar et expert américain pour RM Sotheby’s, rédacteur du « C-Type register » et propriétaire de XKC403 et XKC017), Chris Keith-Lucas (ancien gérant de Lynx, propriétaire de CKL Development, spécialiste/restaurateur qui a lui même supervisé la fabrication des pièces de carrosserie de XKD604 en 1992), Gary Pearson (collectionneur, spécialiste/restaurateur et pilote) et Norman Dewis passent la voiture au crible. Leurs conclusions sont sans appel : seule une partie du berceau arrière provient vraisemblablement de XKD604, ainsi que que la plaque d’identification qui fut ensuite utilisée dans XKD603 (d’où le châssis re-frappé). Le reste est effectivement un assemblage de pièces d’époque de provenance inconnue qui ne représente qu’une « belle évocation de ce que fut une Type D d’usine ».
La suite de l’histoire est trouble. La voiture a été vendue à un acheteur discret pour le quart (ou le tiers) de l’estimation. Greg Johnson aurait promis, en 2016, de ne plus présenter cette voiture à la vente sous l’appellation XKD604, ce qu’elle n’est pas, selon les experts. Cependant, elle reste une belle Jaguar, cohérente. A son volant, le propriétaire actuel peut ressentir les mêmes sensations que les grands pilotes des années 50. Il semblerait qu’il n’ait pas abandonné l’idée de faire reconnaitre cette Type D comme étant la vraie XKD604. Récemment, lors d’un rassemblement d’anciennes en Californie, il aurait soutenu qu’elle était bel et bien la Jaguar d’usine qui aurait couru à Silverstone en 1956.
Affaire à suivre…
A lire aussi :